L’arrivée du coronavirus a bouleversé du jour au lendemain les habitudes de consommation. Dans plusieurs pays dont la France, interdiction de quitter le domicile durant plusieurs semaines sauf raisons valables. En tête des raisons valables : l’approvisionnement en denrées alimentaires.
Or de nombreux pays constatent une demande croissante de produits agricoles locaux. Le terroir rassure en période d’incertitude, et l’achat à la ferme permet d’éviter les foules des supermarchés. Un changement qui est aussi une chance pour les agriculteurs : celle de soigner leur lien avec le consommateur final.
« Il est encore trop tôt pour y voir une tendance durable », nuance Hans-Dieter Stallknecht du Deutscher Bauernverband, premier syndicat agricole allemand. « Mais une chose est sûre : les modes de consommation prennent des formes complètement inattendues. Les exploitations qui ont de la place et des moyens pourraient tirer leur épingle du jeu. »
Comment adapter les circuits courts aux nouvelles conditions de vente directe et offrir aux consommateurs une alternative sûre au supermarché ? En Allemagne, en France et au Royaume-Uni, nous avons visité plusieurs fermes qui ont réussi à tourner la situation à leur avantage.
Allemagne, Vaihingen-sur-l’Enz :
Les paniers bio de la ferme Braun
« C’est vraiment de la folie. Avec le coronavirus, tout le monde achète allemand, et surtout bio », constate Michael Braun. L’agriculteur a repris la ferme biologique de ses parents il y a 34 ans. 50 km après la frontière française, à Vaihingen-sur-l’Enz, il exploite 65 ha auxquelles s’ajoutent 5 000 m² de serre. Les cultures principales sont des salades, des légumes, des herbes aromatiques, des courges, des céréales et du maïs doux.
Depuis 1988, l’exploitation approvisionne les particuliers, les entreprises, les écoles et les crèches en paniers paysans. Les commandes se sont mises à augmenter à l’arrivée du Covid-19 en Allemagne en février. C’est depuis l’état d’urgence permanent à la préparation des paniers… Les employés se sont vite retrouvés débordés par les commandes. Dès le 9 mars, une semaine avant la fermeture des écoles dans le Land du Bade-Wurtemberg, l’exploitation a dû refuser les nouveaux abonnés. Michael Braun n’en revient toujours pas : « Je n’ai jamais vu ça de ma vie. »
3 500 paniers par semaine
Aujourd’hui, la ferme livre près de 3 500 abonnés à la semaine, 10 à 15 % de plus qu’en temps normal. Le chiffre d’affaires a augmenté de 50 %. Trois jours par semaine, le remplissage des cagettes plastique est effectué en roulement pour 12 à 14 heures/jour au total. Des étudiants et des lycéens viennent en aide au personnel de l’exploitation.
La distribution se fait sans contact avec les abonnés et ce nouveau mode de fonctionnement est plutôt bien accepté. La plupart ne sont pas à leur domicile lors de la livraison. « Nous nous mettons d’accord individuellement sur dépôt des paniers. Beaucoup d’entre eux nous ont même laissé une clé de leur maison pour que nous puissions déposer le panier dans le couloir ! », rapporte Michael Braun. Pour davantage de fraîcheur, les abonnés peuvent commander des boîtes isothermes. Le contact est donc évité à la livraison… mais il se rétablit ailleurs de façon inattendue : la ferme reçoit de plus en plus de cartes, de lettres et de dessins en remerciement. « C’est très motivant. »
Beaucoup à faire
Michael Braun souhaite, quant à lui, remercier ses employés. Il leur a donc versé dès le mois de mars une « prime de covid » de 2,50 €/h « pour compenser le fait qu’ils travaillent si dur », explique-t-il. « Nos employés forment vraiment une excellente équipe. »
Malgré les bons résultats, la crise apporte ici aussi son lot d’incertitudes. L’exploitation a connu une croissance stable de 7 à 10 % au cours des dernières années. Mais les clients pourraient s’éloigner si les phases de confinement se font régulières. « Je suis conscient qu’il existe des alternatives moins chères à nos produits », reconnaît Braun. Il a prévu d’agrandir l’entrepôt pour installer de nouveaux bureaux, des chambres froides et disposer de plus d’espace pour la préparation des paniers. L’autorisation est arrivée il y a trois semaines, tout est prêt pour lancer les travaux. « Nous sommes actuellement très optimistes et je pense que nous allons entamer la construction. Dans un investissement, il y a toujours la part de risque, et l’espoir que tout se passera bien. »
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France, Grigneuseville :
L’activité cartonne pour Sophie et Olivier Blondel
A Grigneuseville en Normandie, Sophie et Olivier Blondel élèvent chaque année 3 000 porcs charcutiers, nourris en majorité avec les céréales de la ferme. En 2015, ils ont construit leur laboratoire de transformation, pour passer à la vente directe de viande fraîche, fumée ou transformée sous leur marque « J’adore le cochon ».
Nous avons vu la demande pour nos produits augmenter de près de 50 % depuis le début de la crise sanitaire.
Olivier Blondel
« Nous avons vu la demande pour nos produits augmenter de près de 50 % depuis le début de la crise sanitaire. Un tiers de la production est vendu sur place à la boutique de la ferme, le reste dans des magasins de producteurs de la région. Toutes nos ventes sont fléchées vers les particuliers. Ceux-ci n’ayant plus accès aux restaurants, ils se sont tournés en grande partie vers des points de vente de producteurs, où l’on peut faire ses courses sans affronter les files d’attente de la grande distribution », explique Olivier Blondel. « Nous avons dû embaucher une personne supplémentaire pour notre laboratoire de transformation, ainsi qu’un intérimaire pour notre magasin, car nous sommes passés de 10 à 50 commandes par jour. »
Protection des clients et des employés contre le virus
Les mesures de précaution nécessaires ont été facilement mises en place : l’installation d’un plexiglas devant la caisse et la mise à disposition, pour les clients, de gel hydroalcoolique, dont une réserve était déjà stockée sur place par le laboratoire de la charcuterie.
« Comme nous avons eu du beau temps ce printemps, nous avons laissé la porte de la boutique ouverte pour que les clients n’aient pas de contact avec la poignée. Notre vitrine étant assez large, de plus d’un mètre, la distance entre la vendeuse et le client est bien respectée. Nous allons peut-être utiliser aussi des masques dans la boutique. »
Sophie et Olivier Blondel transforment actuellement 45 porcs par semaine en moyenne. La base de leur ration repose sur le blé produit sur l’exploitation, complété par du colza, du pois, de la fèverole et du soja non OGM. « Je me suis formé au le laboratoire viandes de l’ENILV d’Aurillac puis j’ai visité une vingtaine d’installations avant de construire la mienne », raconte Olivier Blondel.
La gamme de « J’adore le cochon » est particulièrement diversifié, avec plus de 100 produits crus, cuits, fumée, séchés, des conserves et des plats cuisinés… « Nos principes de fabrication tournent autour de trois piliers : traçabilité, fraîcheur et goût. Et nous privilégions les procédés qui nous permettent de ne pas utiliser de colorants, conservateurs, exhausteurs de goût, activateur de rendement… pour retrouver la saveur de la vraie charcuterie. »
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Royaume-Uni, Hillam :
Drive fermier à Bert´s Barrow
Pour beaucoup d’exploitations anglaises, le confinement a été un déclencheur d’initiatives. Un magasin de ferme dans le comté du Yorkshire du Nord a notamment adapté ses circuits de commercialisation afin d’offrir une alternative sûre aux supermarchés.
Avec la mise en place réussie d’un drive fermier, le magasin de ferme Bert’s Barrow à Hillam, près de Leeds, contribue ainsi à endiguer la propagation de l’épidémie : depuis avril dernier, 50 clients/heure y achètent des produits régionaux bon marché en toute sécurité, depuis leur voiture.
Trois jours pour s’adapter
« Les situations difficiles sont des sources d’inspiration. » C’est le bilan que dresse Charlotte Wells-Thompson, à la tête de l’exploitation avec son mari Jason. « Le week-end où le confinement a été annoncé, les clients se sont rués sur le magasin. C’était le chaos. Nous avons vite réalisé qu’il serait impossible de garantir le respect des distances de sécurité. D’autres exploitations proposent la livraison, mais nous n’avions ni les véhicules, ni le temps. Les clients devaient donc acheter sur place. Le drive a rendu ça possible, avec un risque social moindre. » En trois jours seulement, le couple mettait son plan à l’œuvre.
« Les clients arrivent au magasin de ferme dans leur véhicule, avec leur liste de course prête. Des panneaux informatifs leur fournissent des instructions sur la manière de procéder pour que nous soyons tous protégés », explique Wells-Thompson. Les commandes sont prises à la caisse et sans contact. Les clients doivent simplement plaquer leur liste contre la vitre fermée du véhicule. Ensuite, l’équipe rassemble les produits qui sont, de même, payés sans contact à travers la fenêtre fermée.
Enfin, l’équipe charge les courses dans le coffre, déjà ouvert par le client avant d’atteindre la zone de service, en vue de réduire le risque de contamination croisée. La famille a conservé un « espace client » : l’ancien stockage de pommes de terre sert de vitrine pour leurs produits.
Blog de recettes
« Nous ne pouvions pas recevoir les clients dans le magasin de la ferme, mais nous voulions tout de même leur fournir une expérience visuelle d’achat. » La ferme tient également à jour un blog de recettes adaptées au contenu de leurs paniers végétariens.
Pour faire face à la demande, le couple a agrandi son équipe, passant de trois temps plein à 12 employés à temps plein et à temps partiel, plus quelques bénévoles. « L’un de nos employés est dans l’événementiel, et un autre est fauconnier. Il seraient sans revenu au milieu de la crise actuelle », explique Charlotte Wells-Thompson. « C’est un travail d’équipe. Tout le monde compte. Sans eux, nous n’y arriverions pas. »