« À partir de graminées, de trèfle et de luzerne, nous sommes parvenus à produire un complément protéique qui égale le taux du tourteau de soja », assure Vagn Hundeboell, directeur général de BioRefine, une entreprise danoise détenue conjointement par les groupes agroalimentaires DLG, Danish Agro et DLF. Le concentré, avec une teneur brute de 50-60 %, surpasserait celle des graines de soja (46 %).
La pression subie par les producteurs européens d’aliment et les éleveurs pour trouver des substituts au soja importé s’est renforcée ces dernières années. Notamment en bio, où les difficultés d’approvisionnement se prolongent. « Nous avons à l’origine abordé le sujet sous l’angle environnemental et climatique et nous avons élaboré un modèle économique », explique Vagn Hundeboell. « Nous avons constaté que le produit pouvait aussi faire concurrence au soja importé. »
À la recherche de sources alternatives
Dans la foulée, BioRefine a été créé en 2019 et a acquis l’année suivante une installation de production d’aliment, où la production expérimentale a depuis commencé. « L’année dernière, nous avons déjà produit plusieurs centaines de tonnes », rapporte Hundeboell.
Si la technologie de bioraffinage est déjà ancienne, le produit n’aurait sans doute pas vu le jour sans des avancées récentes en recherche biologique. Le processus utilise de l’herbe fraîchement fauchée provenant d’un mélange de semences spécial. Le concentré, qui a l’apparence d’un café moulu, est prêt à être livré aux producteurs d’aliments au terme d’un procédé de transformation de quelques heures.
Des mélanges saisonniers
« Le processus de transformation doit être rapide, sinon la perte en protéines sera importante », détaille Hundeboell : jusqu’à 40 % après 13 ou 14 heures. Les mélanges d’herbe sont soigneusement composés pour correspondre aux différentes conditions du sol, et garantir un taux aussi élevé que possible, tout au long de la saison de pousse.
« Ici au Danemark, les graminées atteignent leur pic de protéines début mai, le trèfle rouge fin mai, le trèfle blanc début juin et la luzerne fin juin. En adaptant nos mélanges de semences à ces conditions, nous pouvons maintenir une bonne qualité de matière première au long de la saison », révèle Vagn Hundeboell. « La luzerne, avec ses racines longues d’un à deux mètres, est parfaite pour les terrains secs. »
Le processus de transformation doit être rapide, sinon la perte de protéines sera trop élevée.
Vagn Hundeboell
Le timing est donc essentiel. La production de ces prairies de fauche contraste fortement avec la production des céréales qu’elle est censée (en partie) remplacer, et dont les contraintes de temps sont moindres. En cela, elle se rapproche plus d’une production de denrées périssables comme les légumes. Les agriculteurs sous contrat sont responsables de l’ensemencement et de la conduite de la culture pendant la période de végétation, mais BioRefine prend en main la récolte, avec une chaîne logistique bien organisée du champ au site de transformation. Ce système donne de meilleurs résultats, pour cette chaîne de valeur fortemement soumise à une contrainte de temps.
Si quelques centaines de tonnes ont été produites en 2021 à partir d’environ 500 ha, Vagn Hundeboell s’attend à ce que cette année, BioRefine passe à la vitesse supérieur, jusqu’à 7 000 t, grâce aux agriculteurs sous contrat, soit environ 3 000 ha.
Le Danemark importe environ 2 millions de tonnes de tourteau de soja par an. Dont 70 000 t environ issues de l’agriculture biologique. Vagn Hundeboell ne cache pas son ambition : pour lui, remplacer l’intégralité du soja bio importé par des protéines locales serait un projet réaliste. « Nous avons environ 2 millions d’hectares de SAU au Danemark, c’est donc faisable. » Cela supposerait, néanmoins, de prélever ces surfaces d’herbes sur la sole céréalière.
Plus de demande pour les produits bio
Au Danemark également, le bio rencontre un succès croissant dans les ventes. Les œufs, par exemple, représentent 40 % du marché et le lait quelques 33 %. Le nombre de porcs bio est stable et tourne autour de 460 000 (le pays produit 28 millions de porcs par an).
Hundeboell reconnaît la nécessité pour BioRefine d’offrir aux exploitants un revenu comparable ou supérieur, pour pouvoir continuer à travailler avec les agriculteurs sous contrat, qui doivent satisfaire à un cahier des charges strict, notamment en ce qui concerne le la valeur en protéines de l’herbe. « Nous avons pour objectif un taux de 20 %, mais nous accepterons une marge de 18 à 22 %. »
Nils Erik Nielsen, basé à Varde sur la côte ouest de l’île de Jutland, est l’un des agriculteurs qui a travaillé avec BioRefine en 2021. Il gère une ferme bio de 70 ha, dont 20 ha d’avoine ou d’orge, et 50 ha d’herbe – indispensables, qu’il approvisionne BioRefine ou non. « Je vais continuer de cultiver de l’herbe, parce que j’en ai besoin pour mon exploitation, mais il faut que ça puisse égaler les paiements en céréales, ce qui a été le cas en 2021. »
L’agriculteur se dit satisfait de la récolte de 2021, qui a répondu aux exigences de BioRefine. « Nous sommes rémunérés en fonction de la teneur en matière sèche et en protéine. Évidemment, on aimerait être payé le plus possible, mais je suis satisfait du paiement reçu en 2021. »
Il a rencontré peu de problèmes avec le mélange de graines : « Dès le semis, l’herbe s’est très bien développée et nous avons atteint une teneur en protéine acceptable et un rendement relativement bon. » L’organisation de la récolte s’est également bien déroulée. « La première expérience a été positive, BioRefine a fauché l’herbe rapidement, quand la météo l’a permis. »
Les bonnes années, BioRefine espère cinq coupes sur exploitations participant à l’expérience. Si le mélange de semences contient de la luzerne, l’entreprise vise quatre récoltes.
Nous devons apprendre les uns des autres, nous voulons donc que les résultats restent ouverts à tous.
Morten Bye-Jensen
La mise en marché d’un concentré de protéines « premium » est donc bel et bien l’objectif. Pas question en revanche de protéger le secret de fabrication comme propriété exclusive de BioRefine, témoigne Morten Bye-Jensen, chercheur au Département d’ingénierie biologique et chimique de l’Université d’Aarhus « Il y a eu beaucoup d’échanges entre les partenaires du projet sur la question du partage des résultats. Il faut continuer apprendre les uns des autres – nous voulons donc qu’ils restent accessibles à tous. »
Économie circulaire
Plus à l’est, en Suède, des chercheurs de l’école d’agriculture de Sötåsen sont parvenus à engraisser des porcelets avec un aliment protéique issu d’herbe (graminées et de trèfle), via des techniques de bioraffinage, dans le cadre d’un projet visant lui aussi à réduire les importations.
« Le système digestif de porcs plus âgés supporte les aliments à base d’herbe, bien que jusqu’à présent, ceux-ci n’aient été utilisés que comme additif et non comme aliment en tant que tel », décrit Anna Wallenbeck, maître de conférences en production animale à l’Université suédoise des sciences agricoles (SLU). « Nous avons à présent montré qu’un tel aliment pouvait également être utilisé chez des porcelets de six à douze semaines. » Les essais menés à Sötåsen se poursuivent ; l’école d’agriculture a déjà investi dans un équipement dédié à la production de poudre protéinée.
« Nous avons environ 1 million d’hectares de terres cultivées dans le pays », explique Christel Cederberg, professeure à la Chalmers University of Technology (Suède). « La production de protéines végétales sur environ 100 000 ha serait envisageable et représenterait un puit de carbone majeur. L’objectif est double : offrir aux agriculteurs la possibilité de faire pousser et d’utiliser un aliment produit localement, et créer un produit protéique pour les élevages bio adapté à une économie agricole circulaire. « Il reste beaucoup de potentiel à exploiter. »
Rentabiliser le procédé
De retour chez BioRefine. Le directeur général, Vagn Hundeboell pointe des bénéfices environnementaux importants, sachant que le Danemark a des difficultés à satisfaire aux exigences de la directive européenne sur l’eau. Les cultures pérennes, tout en évitant de déstocker le carbone du sol, réduiront aussi le ruissellement.
Jusqu’à présent, le concentré de protéine de BioRefine a été utilisé dans l’alimentation de pondeuses. Il aurait donné, selon ses concepteurs, un jaune d’œuf plus appétissant, de couleur plus intense. Chez les porcs, des essais ont montré de bons résultats, d’après Morten Bye-Jensen, avec une croissance et une santé comparables à celles des groupes témoins, et sans effets indésirables sur les caractéristiques nutritionnelles de la viande.
Or avec l’augmentation du coût des aliments et à mesure que le tourteau de soja bio se fait plus rare, la mise au point d’alternatives est un objectif crucial. En décembre 2021, les graines de soja se négociaient à 12,60 $/boisseau à la bourse de Chicago ; le soja bio quant à lui affiche un prix deux fois plus élevé.
« Il devient de plus en plus difficile de trouver des graines de soja bio et beaucoup se tournent vers des marchés comme la Chine et le Kazakhstan, parfois la Roumanie », explique Vagn Hundeboell, dont l’ambition est bel et bien de faire concurrence à ce protéagineux, en jouant notamment la carte du bénéfice environnemental.
Retse la question du prix. Elle se pose pour les fournisseurs d’herbes, comme Erik Nielsen, et pour les futurs acheteurs de ce complément protéique. Sachant que le processus de transformation crée également de gros volumes de fibres végétales, trouver un marché pour ce coproduit sera vital, économiquement parlant. Actuellement, elles sont utilisées dans le cadre de la production de bioénergie, mais BioRefine espère être capable d’en tirer d’autres produits comme du textile et des emballages.
« Nous coopérons en ce moment avec un producteur d’œufs suédois et nous fabriquons ses boîtes d’œufs », raconte Hundboell. « Cette pratique pourrait remplacer l’utilisation de papier et on pourrait renvoyer le tout directement dans les champs », conclut-il. Et d’ajouter : « Après tout, c’est de l’herbe ! »
Mélanges de semences de BioRefine
Mélange 1
- Ray-grass pérenne (bovina): 25 %
- Trèfle blanc: 20 %
- Rajsvningel, hybride fétuque des prés-raygrass italien/anglais: 25 %
- Ray-grass (fabiola): 30 %
Mélange 2
- Ray-grass (fabiola): 30 %
- Trèfle blanc: 20 %
- Ray-grass (bovini): 25 %
- Rajsvningel: 25 %
Mélange 3
- Rajsvningel: 30 %
- Rajsvningel (fojtan): 20 %
- Ray-grass (bovini): 13 %
- Trèfle rouge: 17 %
- Trèfle blanc: 10 %
Mélange 4
- Luzerne: 50 %
- Luzerne: 50 %