Des projets en alti­tude

Dans les régions les plus escar­pées de la pénin­sule ibérique, initia­tives d’éleveurs et tech­no­lo­gies modernes viennent valo­riser les méthodes de produc­tion tradi­tion­nelles.

Il n’a pas été facile de trouver des exploi­tants pour reprendre la « Borda de Pastores ». C’est fina­le­ment Vicente et Teresa Sancho qui ont repris le flam­beau en juin 2015. « Plus qu’un gîte rural, il s’agit d’un centre péda­go­gique dédié au monde ovin », explique Vicente. L’éleveur possède un trou­peau de 450 brebis de race Rasa Arago­nesa et 200 ha de prai­ries perma­nentes, cultures four­ra­gères et céréa­lières (orge) desti­nées à l’alimentation des animaux. Sa femme Teresa s’occupe de la gestion du gîte, niché dans une vallée des Pyré­nées arago­naises, et de l’accueil des visi­teurs.

Bergers d’un jour

Ces derniers ne sont pas des touristes accro­chés à leur appa­reil photo et venus seule­ment pour docu­menter leurs vacances. « Ils arrivent chez nous avec l’objectif de comprendre la gestion d’un élevage extensif », rapporte Vicente Sancho. C’est aussi pour eux l’occasion de décou­vrir les bien­faits envi­ron­ne­men­taux du pâtu­rage, et les pratiques d’élevage de l’agnelet d’Aragon, produit emblé­ma­tique de la région. La table de La Borda, qui fête déjà ses sept ans, accueille de nombreux groupes scolaires.

Pour Vicente et Teresa Sancho, l’élevage est une voca­tion. La charge de travail reste très impor­tante, mais les progrès tech­no­lo­giques leur faci­litent la tâche : écho­gra­phies, systèmes modernes de tonte, programmes de Recherche et Déve­lop­pe­ment. L’exploitation colla­bore ainsi avec l’Université de Sara­gosse et le Centre de recherche et de tech­no­logie agroa­li­men­taire espa­gnol (CITA). Les programmes concernent notam­ment la ferti­lité ovine et les dispo­si­tifs GPS. La révo­lu­tion tech­nique est en marche sur les pentes des Pyré­nées.

Borda de Pastores, une exploi­ta­tion tradi­tion­nelle, s’est lancée dans un projet de ferme péda­go­gique.

Surveiller le trou­peau par GPS

Iosu Sorazu, du projet trans­fron­ta­lier Agripir, travaille en parte­na­riat avec un éleveur de Beizama, au Pays Basque espa­gnol, dans le cadre du projet E-Pasto. Inutile désor­mais de rester dans les montagnes auprès des vaches qui paissent de mai à septembre. Il est aujourd’hui possible de surveiller son trou­peau à l’aide de systèmes portables. « Les bêtes portent un collier émet­teur-récep­teur équipé d’un système de géolo­ca­li­sa­tion qui permet de connaître leur posi­tion exacte à tout moment. »

L’objectif est de suivre, grâce aux capteurs inté­grés aux colliers, les phases de pâture et de dépla­ce­ment, et de rensei­gner le berger sur un compor­te­ment anormal lié à un problème de santé. Cette surveillance à distance par l’éleveur, dans la mesure où elle n’exige aucune instal­la­tion de clôtures physiques pour la déli­mi­ta­tion de parcelles, contribue à préserver le paysage de montagne – en plus des écono­mies réali­sées et de la simpli­fi­ca­tion du travail.

Vache équipée d’un dispo­sitif de loca­li­sa­tion GPS de deuxième géné­ra­tion. Photo : Projet Agripir

Guider les bêtes à distance

Le projet a été lancé en France, dans les pâtu­rages arié­geois de la région Midi-Pyré­nées. Sa deuxième phase s’est déroulée au Pays Basque espa­gnol, dans la Province de Guipuscoa. Les dispo­si­tifs accro­chés au cou des vaches ont évolué : plus petits, plus légers, ils s’adaptent mieux aux colliers clas­siques et résistent davan­tage aux coups ou aux morsures. Les possi­bi­lités d’interaction entre le berger et son trou­peau sont égale­ment à l’étude. L’idée est de pouvoir diriger les bêtes vers une zone donnée au moyen de stimuli : sons, vibra­tions ou impul­sions élec­triques. L’institut scien­ti­fique Neiker-Tecnalia en Espagne, et l’Inra en France, sont asso­ciés aux essais.

L’autonomie éner­gé­tique des termi­naux et l’accès aux données en temps réel via un télé­phone portable, un ordi­na­teur ou une tablette, restent deux éléments à améliorer. « Nous avons rencontré des diffi­cultés, notam­ment en raison de la couver­ture insuf­fi­sante, en parti­cu­lier dans les zones sauvages », explique Iosu Sorazu, qui est néan­moins persuadé que des tech­no­lo­gies sans fil modernes permet­traient de surmonter ces obstacles, « même si la commer­cia­li­sa­tion de tels dispo­si­tifs n’est pas pour demain ».

Les pics d'Europe, dans la cordillère Canta­brique.

À partir de 2013, une centaine de bovins ont été suivis à distance des deux côtés des Pyré­nées. Photo : Projet Agripir

E-Pasto était l’une des initia­tives phare du programme Agripir (2012-2014), qui visait renforcer l’intégration trans­fron­ta­lière sur le plan écono­mique, tech­nique et humain, des deux côtés des Pyré­nées. Plusieurs projets se pour­suivent après la clôture du programme. Les « bergers virtuels » sont loin d’avoir été le seul domaine d’expérimentation d’Agripir ; le déve­lop­pe­ment des éner­gies renou­ve­lables (piles à hydro­gène, éolien ou solaire) pour faire face au manque d’approvisionnement éner­gé­tique en montagne, la réduc­tion des gaz à effet de serre, ou encore et le dépis­tage précoce de la mammite bovine, en était d’autres.

Juste rému­né­ra­tion des éleveurs

Dans la vallée canta­braise de Nansa et Peñar­rubia, l’activité agri­cole s’insère dans un envi­ron­ne­ment gran­diose, mais rude. Malgré les condi­tions de travail diffi­ciles, la rému­né­ra­tion n’est pas toujours au rendez-vous. Encore récem­ment, les éleveurs bovins avait rare­ment voix au chapître lorsque la valeur finale de leur produc­tion était fixée. Les prix de la race Tudanca notam­ment, sont restés long­temps en dessous de la valeur réelle malgré une qualité de viande reconnue. La fonda­tion espa­gnole Botín a aidé les éleveurs à améliorer leur renta­bi­lité, faisant en sorte que leur produc­tion soit rachetée par la chaîne de super­mar­chés Lupa, et que les prix « tiennent compte des méthodes d’élevage tradi­tionnel, avec une alimen­ta­tion locale à base d’herbe », décrit Bruno Sánchez-Briñas, respon­sable déve­lop­pe­ment rural de la fonda­tion. Aujourd’hui, la race Tudanca dispose d’un IGP « Viande de Canta­brie ».