Il existe aujourd’hui sur les catalogues du monde entier des milliers de variétés décrites. Pourtant, la tomate a attendu longtemps de devenir un légume incontournable sur nos tables. Au XVIe siècle, les conquistadores découvrent ce fruit au Mexique et au Pérou ; les tomates consommées y sont parfois de la taille d’une cerise, mais aussi souvent de gros calibre. Ils en rapportent des graines en Europe, les propagent de l’Espagne à l’Italie.
En France, les variétés de tomate débutent leur diffusion à la fin du XVIIIe siècle, sur le catalogue de la célèbre famille de grainetier Vilmorin-Andrieux : sept variétés différentes, rouges ou jaunes, ronde ou longue, y figurent déjà. Ces variétés sont alors des populations, c’est-à-dire des familles d’individus très proches.
Il faut attendre le début des années 1960 pour que les sélectionneurs créent les premiers hybrides, qui offrent des fruits plus ronds et plus homogènes. L’INRA engage un travail de sélection poussé, alors que la tomate devient de plus en plus consommée à la fin du XXe siècle.
À la recherche de fruits savoureux
Pendant longtemps, nous n’avons connu sur les étals que la tomate ronde rouge et l’olivette. Puis sont arrivées, à la fin des années quatre-vingt, les tomates rondes "longue conservation" ou long-life, porteuses d’une mutation du gène RIN, qui bloque la maturation. Ce gène s’accompagne d’un défaut : il rend les fruits plus farineux.
Pour faciliter le voyage et la conservation des tomates, les sélectionneurs avaient alors privilégié la fermeté, au détriment de la texture. Ils avaient mis de côté les tomates juteuses ou charnues, qui se conservent moins bien. Aujourd’hui, le consommateur en vient à bouder les variétés insipides "long-life", pour rechercher des fruits plus savoureux ; l’épisode RIN est terminé.
Désormais, la plupart des tomates cultivées ne possèdent plus ce gène, tout en ayant une durée de conservation assez longue (mid-life). La mode s’est aussi tournée vers des tomates cerise rouges, jaunes, oranges ou en forme de mini-poire.
Nous avons réinscrit de nombreuses variétés anciennes au catalogue amateurs, mais aussi exploré les variétés étrangères et les ressources des collectionneurs privés.
Arnaud Darsonval
Et depuis cinq ans, les variétés dites "anciennes" sont de retour sur les tables. Les consommateurs gourmands ont goûté chez les petits maraîchers des variétés plus charnues, plus parfumées et ils en ont redemandé. Les plus prisées sont la grosse "Cœur de bœuf" et la variété "Andine cornue". Montant en flèche, il y a aussi la "Noire de Crimée", la "Green Zebra" la "tomate Ananas".
Ces tomates ne sont pas des nouveautés, puisque les variétés existent depuis longtemps sous forme de population. Leur défaut : une conservation courte, un manque de fermeté et souvent une productivité un peu trop faible pour les maraîchers professionnels. Pour y remédier, les sélectionneurs ont entrepris de créer des hybrides qui réunissent une abondante production de fruits avec un goût et un aspect très proches de celui des variétés d’antan.
Un renouveau par les jardiniers
Entre-temps, les jardiniers ont été les premiers à cajoler les variétés anciennes. Les fournisseurs de graines comme la Ferme de Sainte Marthe, ont joué un rôle actif dans la diffusion de variétés anciennes ou oubliées.
« Nous avons réinscrit de nombreuses variétés anciennes au catalogue amateurs. Mais nous avons aussi exploré les variétés étrangères et les ressources des collectionneurs privés », explique Arnaud Darsonval de la Ferme de Sainte Marthe.
Parmi les dernières variétés sélectionnées, il y a aussi "Green Doctor Frosted" et "Osu blue", une tomate dont la peau a des reflets presque noirs. La Ferme s’est également spécialisée dans la fourniture de semences biologiques à destination d’un public large. Jusqu’aux régions les plus nordiques, la tomate fait aujourd’hui l’objet d’un véritable culte jardinier.
Tous les ans mi-septembre, les collectionneurs viennent présenter leurs plus belles récoltes à la fête de la tomate d’Haverskerque dans le département du Nord, où l’on déguste les productions pour élire la meilleure variété de l’année. Mais surtout, jardiniers et bénévoles y font goûter des variétés diverses et donnent les graines à ceux qui veulent les planter dans leur jardin.
Autre initiative : le prestigieux château de la Bourdaisière à Montlouis-sur-Loire, abrite le conservatoire de la tomate, initiative de son propriétaire Louis Albert de Broglie. Les premières graines ont d’abord été rapportées d’Inde et d’Asie par le "Prince jardinier", collectionneur et adepte avant l’heure de la biodiversité. Il plante une trentaine de variétés au début des années quatre-vingt-dix.
Au fil des ans, le Conservatoire s’est enrichi grâce à des collectionneurs ou des achats dans les jardins botaniques du monde entier. Il rassemble aujourd’hui plus de 650 variétés différentes. Cette collection agréée par le CCVS (Conservatoire des Collections végétales spécialisées). Tous les mois de septembre, le Conservatoire organise une grande fête de la tomate et des saveurs, qui remporte un vif succès. Et les projets ne manquent pas: en 2015, le Conservatoire de La Bourdaisière va mettre en place un centre de conservation des graines et en 2017 un laboratoire dédié à l’analyse des fruits, sous l’angle médicinal et cosmétique.
Génétique toujours en marche
La recherche publique travaille aussi pour les producteurs. Dans le Sud de la France, l’INRA de Montfavet près d’Avignon, entretient une large collection : 2 000 variétés anciennes et 300 accessions d’espèces sauvages voisines de la tomate.
« Ces plantes sauvages, telles que la tomate-groseille, Solanum pimpinellifolium, ont de tout petits fruits. D’autres espèces sauvages ne sont pas comestibles, mais se croisent facilement avec la tomate. La plupart des résistances aux maladies que nous utilisons dans la sélection des tomates cultivées proviennent de ces plantes sauvages », rapporte Mathilde Causse de l’INRA d’Avignon.
C’est ainsi que l’on a pu insérer dans les variétés cultivées une résistance au virus de la mosaïque du tabac (TMV), qui se propageait dans les cultures en serre. Contre le virus des feuilles jaunes en cuillère (TYLCV), présent dans tout le bassin méditerranéen et transmis par une petite mouche, les chercheurs ont trouvé des gènes de tolérance, mais pas encore de résistance à 100 %.
Contre le mildiou et l’oïdium, les chercheurs ont trouvé des tolérances dans les espèces sauvages, mais pas de résistance complète. « Il y a souvent une course de vitesse entre les nouvelles résistances insérées dans les variétés et le contournement par le parasite », note Mathilde Causse.
Néanmoins, le réservoir de gènes de résistance à exploiter reste encore très large. « On constate qu’aujourd’hui les consommateurs reconnaissent bien le goût et la texture des tomates. Nos travaux sur les caractères se poursuivent pour créer des variétés plus rustiques. »
À destination des jardiniers, l’INRA propose depuis deux ans la perle rare avec Garance, une tomate rustique, assez tolérante aux maladies. C’est aussi une variété avec des qualités en bouche hors du commun. Ses fruits sont rouges brillants, un peu côtelés, avec une chair fondante et une bonne conservation même à température ambiante. Pour compléter le tableau, Garance se révèle aussi riche en lycopène, un antioxydant réputé excellent pour la santé. Les sélectionneurs s’intéressent aussi beaucoup à la valeur nutritionnelle des fruits, naturellement riches en vitamine C, provitamine A et lycopène.
Nous venons de lancer avec l’Espagne, l’Italie et la Grèce une comparaison des variétés traditionnelles. Sur un millier de variétés de tomates, nous pourrons vérifier si l’ADN est identique ou différent.
Mathilde Causse
« Nous venons de lancer avec l’Espagne, l’Italie et la Grèce une comparaison des variétés traditionnelles. Sur un millier de variétés de tomates, nous pourrons vérifier si l’ADN est identique ou différent. On va aussi regarder comment les conditions de culture, en serre ou plein champ, peuvent modifier leurs caractéristiques et leur goût », ajoute Mathilde Causse.
« Ceci nous permettra de créer une base de données pour classer les variétés qui se ressemblent. Et de connaître les interactions variétés/mode de culture pour produire de bonnes tomates en suivant un mode agroécologique. »