Gluten : un seul mot pour définir la partie "protéines" des graines de céréales, blé, orge, seigle, épeautre qui entoure les grains d’amidon.… Chaque espèce possède un gluten différent. Dans le blé tendre, il est formé par des gliadines et des gluténines, protéines de grande taille qui jouent un rôle important dans la viscoélasticité de la farine. Dans le pain, elles donnent les alvéoles et la structure.
De plus en plus, on entend parler d’intolérance ou d’hypersensibilité au gluten de blé. Seules les personnes atteintes de la maladie cœliaque, une maladie génétique auto-immune qui touche 1 % de la population française, sont vraiment intolérantes au gluten. À côté, 10 à 20 % de la population souffriraient d’une hypersensibilité au gluten plus ou moins réelle. Une question se pose de toute évidence : comment peut-on développer une hypersensibilité à un aliment que l’homme consomme depuis la nuit des temps ?
Hypothèses à étayer
Plusieurs hypothèses ont été émises concernant ces intolérances ou hypersensibilités. La première touche à la composition du gluten des variétés de blé tendre actuelles, dont une dizaine dominent en meunerie. Les analyses montrent que les protéines du grain – gliadines et gluténines – diffèrent de celles des variétés anciennes. « Les gluténines des blés tendres actuels ont un poids moléculaire plus élevé que par le passé. On est allé très loin dans la sélection de blés à forte valeur boulangère », relève Christian Rémésy, de l’Inra.
Les gluténines des blés tendres actuels ont un poids moléculaire plus élevé que par le passé. On est allé très loin dans la sélection de blés à forte valeur boulangère.
Christian Rémésy
Pour cette raison, certains scientifiques soupçonnent les protéines de ces blés d’être plus difficilement digestibles. « Aucune étude n’a pu mettre en cause le poids de ces molécules », affirme pourtant Bernard Valluis, Président de l’ANMF*. Dans le même temps, d’autres études montrent que le gluten des blés anciens est plus digestible et mieux toléré.
Une deuxième hypothèse concernant les effets hypersensibilisant du gluten pourrait provenir des méthodes de panification et des additifs utilisés. Alors qu’autrefois, la fermentation au levain traditionnel était très longue, la fermentation est aujourd’hui courte, avec de la levure et des pétrissages mécaniques. Or, une partie de la digestion des protéines du blé commence pendant les fermentations au levain. Plus la fermentation est raccourcie, moins les protéines sont digestes… une hypothèse que remettent en cause les industriels.
Filières nouvelles
Pour autant, la demande de "sans gluten" semble aujourd’hui un phénomène mondial. En France, de nouvelles filières émergent pour y répondre. « Nous recevons de plus en plus de demande de consommateurs pour des produits sans gluten et peu allergisants », confirme Goulven Oillic d’Inter Bio-Bretagne. Ce qui explique sans doute le nombre de filières "sans gluten" autour de Rennes, telles que Sereco pour les céréales petit-déjeuner et Carrés Ronds, biscuitier sans gluten.
Peut-on faire du pain bien toléré à base de céréales chez les personnes hypersensibles au gluten? Certainement, en se tournant vers des variétés anciennes de froment ou vers des céréales comme le petit épeautre et le grand épeautre, dont les protéines sont plus "digestibles" que celles des variétés de blé actuelles.
Ensuite, est-il possible de fabriquer du pain à base de céréales sans aucune trace de gluten, à destination des patients atteints de maladie cœliaque ? Apparemment non. Pour obtenir un aliment "zéro gluten", il faut se tourner vers d’autres matières premières : le riz, le sarrasin, le maïs… mais ces dernières ne sont pas panifiables. Leur grain a une composition différente de celui du blé, qui le destine à être consommé sous forme de semoule, de farine, ou entier.
Nous recevons de plus en plus de demande de consommateurs pour des produits sans gluten et peu allergisants.
Goulven Oillic
« Alors que les intolérants doivent définitivement supprimer les produits céréaliers contenant du gluten, les personnes atteintes d’hypersensibilité gagnent à se tourner vers des aliments tels que la polenta de maïs, le couscous, les pâtes alimentaires, estime Christian Rémésy. Et de façon générale, les consommateurs ont intérêt à éviter les aliments industriels et à diversifier les sources d’origine végétale. »
Aujourd’hui, cette demande de produits sans-gluten revitalise les moulins traditionnels produisant de la farine de sarrasin, comme celui de Quincampoix à Rimou en Bretagne. Nicolas et Yves Noël font tourner ce moulin traditionnel, dans la famille depuis cinq générations.
« Nous écrasons près 500 quintaux de blé à la meule et 400 quintaux de sarrasin, en travaillant en bio depuis 1982 », explique Yves Noël. Les productions de blé et de sarrasin se trouvent dans deux bâtiments différents, pour éviter tout risque de mélange. Les farines sont ensachées au moulin et distribuées principalement par le réseau de Biocoop. « Nous ne faisons que de petites quantités, en travaillant lentement, afin de respecter les grains, qui sont des produits vivants. Pour le blé nous choisissons des variétés anciennes comme le "Rouge de Bordeaux" », ajoute Yves Noël.
D’autres filières sans gluten sont à l’étude en France, comme celle des bières issues de matières premières autres que l’orge. Par exemple de bière de sorgho blanc, dont le process est testé par Semences de Provence et les malteurs de l’Ardèche. Le marché français du sans-gluten se met rapidement en place, avec un temps de retard sur l’Espagne et les États-Unis. Et l’industrie est prête à surfer sur cette vague, qui lui permet de diffuser une gamme de produits à plus haute valeur ajoutée.
* Association nationale de la Meunerie Française