Les sols ont horreur de rester nus, ils se mettent au vert spontanément. Intermédiaires entre deux cultures, associés détruits avant récolte de la culture commerciale ou permanents sur plusieurs années selon les rotations, les couverts s’inscrivent dans un projet à long terme : couvrir le sol pour en préserver ou améliorer la structure, les réserves organiques, minérales, hydriques ; pour faciliter et simplifier les façons culturales, modérer les charges, réprimer les adventices et, même, dégager un revenu. S’ajoutent l’effet environnemental et l’aspect sociétal.
Diversité et contrôle
Sur sols argilocalcaires de Champagne berrichonne, les rotations se sont diversifiées. Jean-Baptiste Pollet, président du Groupement d’Intérêt Économique et Environnemental « Semons dans le vivant », en semis direct sur 340 ha à Blet (à l’est de Bourges, Cher), sème des colzas avec luzerne et/ou trèfle blanc, associés à la féverole, celle-ci fixe de l’azote et ses fleurs servent de leurre contre les charançons. Il n’a plus d’outil de travail du sol et la diversité des cultures lui permet de contrôler les vulpins et ray-grass, la vulpie. Ses rotations comprennent blé, maïs, orge de printemps, lin Ω-3, vesce semence, pois hiver, féverole, lentille, pois chiche, mélilot, sarrasin…
Chaque parcelle a son histoire et la rotation doit être pertinente.
Jean-Baptiste Pollet
« La communication entre membres du GIEE est essentielle, mais on ne peut copier son voisin. Chacun est un observateur de ses sols et plantes. Chaque parcelle a son histoire et la rotation doit être pertinente. » Malgré les fortes pluies de mai puis les chaleurs, les blés firent 68 q/ha, moins que prévu. Le lin à 20 q/ha mais à haute valeur ajoutée, est par son système racinaire un bon précédent pour le pois qui requiert un sol drainant.
Non loin, sur 300 ha à Farges-en-Septaine, Denis Guidoux fait neuf cultures avec des couverts semi-permanents implantés au semis ou en végétation : blé, orges d’hiver et de printemps, colza, tournesol, maïs et en semences oignons, persil, coriandre. Les trèfle blanc et luzerne en semis direct au printemps dernier en maïs irrigués, le trèfle blanc à la volée sur maïs en zone inondable fertile, présentaient une couverture suffisante à l’automne. Avant le blé après colza, un herbicide ralentit les légumineuses.
Il faut anticiper les couverts dans la rotation en même temps que leur contrôle.
Denis Guidoux
En été, par accord avec un éleveur, 600 moutons pâturent les couverts et les mauvaises herbes. Leur piétinement minimise les limaces. « Tout n’est pas mathématique avec les couverts. Il faut observer, les anticiper dans la rotation, les contrôler. J’ai besoin de moins de puissance de traction, de main-d’œuvre et de chimie. » Les rendements en 2018 : 63 q/ha en blé, 32 en colza, de 12 à 30 en tournesol selon les averses.
Économie sur les cultures
Un saut à l’est, sur ce même croissant de sols argilocalcaires. Pour Antonio Pereira, à la Chambre d’Agriculture de Haute-Marne, les couverts permanents amènent une économie sur l’interculture et la culture suivante, sur les herbicides, insecticides et sur la fertilisation azotée. Le choix des espèces dépend des sols, du type d’exploitation, culture ou élevage, de la stratégie de l’exploitant.
En agriculture de conservation sur 385 ha à Bouzancourt, Damien Thiéblemont, en Gaec avec son frère, veut faire vivre ses sols, réduire les intrants ; le semis direct limite ses charges de mécanisation, 15 €/ha pour le tracteur et le semoir en Cuma. Ses rotations incluent colza, blé, orges d’hiver et de printemps, maïs et soja, et soja après méteil en vallée.
Notre but est de nourrir le sol, mais si la pousse est bonne, le couvert est récolté.
Damien Thiéblemont
70 % des pailles sont ramassées pour les taurillons. Les semences sont préparées en juin. Les couverts en mélanges sont implantés sitôt la récolte de la culture ou avec le colza : des luzerne, lotier, trèfle blanc nain, trèfle violet, féverole, lentille qui fixent l’azote, du sarrasin qui mobilise le phosphore, du lin qui attire les altises. Le but est de nourrir le sol, mais si la pousse est bonne, la luzerne est récoltée. Les blés tournent à 67 q/ha, le colza à 34-39 q. Le soja laisse un sol propre et, en 2017, il avait atteint 38 q/ha, la meilleure année en culture principale, 20 q au mieux en dérobé.
Agriculture de conservation
Un grand bond vers l’ouest, à Bismarck dans le Dakota du Nord (même latitude que Bourges), avec près de six mois de neige : Gabe Brown et sa femme Selly, leur fils Paul, cajolent les sols de leur Brown’s Ranch. 2 100 ha dont 800 ha de cultures, le reste est en prairies naturelles pâturées par les bovins. Moutons, porcs en plein air, pondeuses, poulets, abeilles complètent l’image. Gabe Brown, l’un des pionniers du mouvement pour la santé du sol, insiste en introduction à son système de production qui s’inspire de la nature et intègre “cultures” et animaux : « Tout le monde veut être durable, moi je veux faire de l’agriculture régénératrice.»
Tout le monde veut être durable, moi je veux faire de l’agriculture régénératrice.
Gabe Brown
Régénérer signifie penser la globalité entre sol-microorganismes-végétation-faune-auxiliaires, protéger les relations entre ces éléments. Les teneurs en matière organique de ses sols sont la clé de la réussite, elles sont passées de 1,7-1,9 % en 1995 à 5,3-6,5 % en 2018 et même 11 %, soit une valeur en éléments nutritifs multipliée par 4 ou 5. Côté pluie, la capacité d’infiltration a bondi de 12 mm/heure à 200 mm/h, et la capacité de rétention en eau a plus que doublé.
Les sols sont en permanence sous couverts, une culture intermédiaire ou une culture commerciale, le tout en semis direct afin de conserver des racines vivantes le plus longtemps possible. Gabe n’utilise plus d’engrais de synthèse depuis 2008, ni fongicides ou insecticides. Le non-travail du sol et les résidus de récolte en surface réduisent les levées de mauvaises herbes et un herbicide tous les 2-3 ans suffit. Son rendement en maïs, 79,7 q/ha en 2018 malgré une forte sécheresse, dépasse de 25 % la moyenne régionale, avec un coût de production de 4,98 €/q, du semis à la récolte et foncier inclus.
Les surfaces récoltées sont pâturées, aussi des couverts en pâturage tournant dynamique, même en hiver mais une partie de la biomasse doit toujours rester pour couvrir et nourrir le sol. Les cultures : pas de blé ces dernières années vu le marché mais des triticale et seigle d’hiver, avoine, pois grain et fourrager, vesce, luzerne. Couverts compris, ce sont plus d’une trentaine d’espèces qui captent l’énergie et le carbone pour alimenter le stock de matière organique du sol.
La diversité des espèces répond à l’hétérogénéité des parcelles et améliore la résilience des sols. Les bases sont seigle et vesce pour l’hiver et sorgho-soudan, dolique mongette, haricot, chou, pour l’été. Pour Gabe, l’idée s’adapte à tous les sols et le défi pour amorcer le système est de comprendre comment fonctionnent les sols naturellement. Il en convient, la physique et la chimie jouent mais « la biologie tient le rôle principal. »
POUR ALLER PLUS LOIN
Début 2018, 477 GIEE (groupements d’intérêt économique et environnemental) rassemblaient 9 000 agriculteurs qui cumulent expériences et essais dans un cadre d’échanges bénéfiques à tous.
Quelques-uns des 450 GDA (groupements de développement agricole) remontent aux années 1960. Un réseau d’acteurs et d’agriculteurs que Trame accompagne entre autres pour l’agroécologie.
Du piège à nitrate au couvert permanent, du choix des espèces ou mélanges selon les sols, des techniques de semis de ces plantes de service à la maîtrise de leur compétition avec la culture commerciale, Arvalis réalise de nombreux essais dans ses diverses stations.
Créée en Bretagne, BASE (devenue : Biodiversité Agriculture Sol et Environnement) compte 800 adhérents, agriculteurs et techniciens sur 40 000 ha. Les fondamentaux de l’agriculture de conservation : rotation des cultures et couverts ; réduction du travail du sol et du trafic ; restitution des résidus de récolte en surface.