Les drones se sont imposés comme des outils précieux dans le domaine de l’agriculture de précision, d’abord pour leur capacité à surveiller l’état des parcelles en fournissant des données qui, jusqu’à récemment, auraient sinon été impossibles à obtenir. En Espagne, ils sont couramment utilisés pour le suivi de la vigueur des cultures, de leur état sanitaire mais aussi du stress hydrique. En revanche, leur utilisation pour la pulvérisation est encore peu répandue, bien qu’elle gagne progressivement du terrain.
Pour Pedro Lucas, directeur de Niufly, une entreprise spécialisée dans l’application de traitements par drone, les principaux avantages sont clairs : « Les drones ne compactent pas le sol, ils peuvent travailler dans des terrains en forte pente, ils se déplacent plus rapidement dans le champ et permettent d’adapter précisément la dose de traitement aux besoins de la culture, dans la mesure où ils ne pulvérisent que de faibles volumes. »

Plus ou moins de dérive ?
Autre argument en leur faveur : ils peuvent facilement atteindre certaines zones difficiles d’accès, comme des parcelles humides comportant un risque d’enlisement, et les cultures immergées comme le riz. En outre, l’utilisateur est moins exposé aux risques liés aux substances actives appliquées. Du point de vue environnemental, les drones, avec leur moteur électrique, n’émettent pas de GES durant leur fonctionnement.
En ce qui concerne la dérive lors de la pulvérisation, le débat est plus controversé. Une étude réalisée par l’université de Séville dans des oliveraies en culture très intensive a montré que la pulvérisation par drone produisait moins de dérive que l’application par pulvérisateur conventionnel. Cependant, d’autres études ont montré que la dérive pouvait être identique, voire même supérieure avec les drones. Un aspect qui selon Pedro Lucas serait essentiellement lié à la qualité de la prestation : « Pour éviter la dérive, il est essentiel de régler correctement le drone et de suivre les recommandations liées aux paramètres météo. »

Défis et contraintes
Le principal problème de la pulvérisation par drone réside dans les restrictions imposées par la réglementation européenne. La pulvérisation aérienne est interdite dans l’UE depuis 2009, avec quelques exceptions dans le cas de permis spéciaux. Par ailleurs, la Commission européenne s’est fixée comme objectif de réduire de moitié l’utilisation de phytosanitaires de synthèse d’ici 2030, ce qui freine le développement de ces technologies.
Pour dépasser ce blocage, certains acteurs jugent nécessaire un complément de loi ciblant plus spécifiquement les traitements par drones, dans la mesure où la réglementation actuelle a été pensée, à l’origine, pour les traitements aériens par avion ou hélicoptère.

Les premiers stades phénologiques sont les plus indiqués pour les traitements par drone, en raison de la masse foliaire plus faible.
David Blanco
Bien que les traitements phytosanitaires par drone soient donc très limités et nécessitent des permis spéciaux, d’autres produits peuvent être appliqués. « Nous diffusons des produits solides tels que des engrais granulés et des agents de lutte biologique, qui sont autorisés, ainsi que des produits liquides tels que des engrais, des biostimulants, et des bio-insecticides ou bio-fongicides, qui ne sont pas classés comme pesticides », explique Pedro.
Concernant les produits phytosanitaires nécessitant des autorisations spécifiques, Pedro rapporte avoir effectué des traitements contre la bactériose du riz et les mouches des fruits avec des produits pouvant être appliqués par voie aérienne.
Aspects clés
Pour voir comment se déroule la pulvérisation par drone, nous nous sommes rendus à Valence (Espagne), dans une orangeraie, pour une application de biostimulant. Selon David Blanco, responsable des opérations techniques de Niufly, il est essentiel de disposer d’un diagnostic et d’une analyse précis des parcelles à traiter pour que le chantier se déroule correctement. « Nous numérisons toujours la parcelle avec un degré de précision RTK, nous analysons soigneusement les données pour définir le traitement, puis nous configurons la tâche pour que le drone fonctionne automatiquement. »

« Nous effectuons d’abord un vol de télédétection à une altitude de 80 à 120 mètres. Nous utilisons des drones équipés de capteurs thermiques, multispectraux et RVB pour diagnostiquer le plus précisément possible la situation des cultures et nous nous servons de ces données pour décider des zones à pulvériser et de la dose à appliquer », poursuit David.
En une seule journée, ils peuvent théoriquement couvrir jusqu’à 300 hectares. L’équipe collecte également des échantillons de feuilles et de sol, dont l’analyse complète les données de télédétection et permet de modéliser plus précisément l’incidence des ravageurs et des maladies. Une fois cette incidence déterminée et la tâche configurée, les drones sont lancés pour la pulvérisation.

L’application de traitements par drone permet d’éviter le tassement du sol.
Pedro Lucas
« Nous utilisons des drones quadrirotor avec une cuve de 8 litres. Cela lui donne une autonomie de 6 à 8 minutes de pulvérisation efficace, ce qui équivaut à 60 ha/jour de traitement. Lors des deux traitements que nous avons effectués avec des pesticides autorisés, nous avons appliqué une dose de 8 l/ha », commente David.
Dans les surfaces arboricoles, le rang de plantation doit être suivi, tandis que dans les grandes cultures, une application uniforme sur toute la surface est visée. D’après son expérience, « les premiers stades phénologiques sont les plus indiqués pour les traitements par drones, car la masse foliaire est plus faible. C’est dans cette situation que l’on obtient la plus grande efficacité, à condition que les autres variables (hauteur, vitesse, volume appliqué et taille des gouttelettes) soient également correctes », explique Pedro.

Boucler la boucle
Niufly fait également figure de pionnier dans le domaine de la dissémination aérienne d’agents de lutte biologique. Pour le largage des insectes auxiliaires destinés à la lutte contre les parasites et les maladies, l’entreprise a apporté certaines modifications à ses drones, permettant un lâcher contrôlé, et assurant une distribution adéquate dans les zones ciblées.

Qu’un produit liquide ou solide soit appliqué après le traitement, « l’entretien correct des drones de pulvérisation est d’une importance vitale », selon Pedro et David. « Les engrenages, les pompes, les connecteurs et tous les autres éléments doivent subir un nettoyage soigné, pour être dans le meilleur état possible lors du traitement suivant. »
Afin de garantir l’efficacité des applications, un suivi approfondi est de rigueur. Après le traitement, de nouveaux vols de télédétection sont réalisés et d’autres échantillons sont prélevés. Il est ainsi possible de réévaluer l’état phytosanitaire de la parcelle, d’obtenir des indicateurs agronomiques, et de produire, à différentes échelles, des cartes de vigueur des cultures et de rendement prévisionnel.