Des algues à la rescousse des cultures

Gorgées d’hormones végé­tales, les extraits d’algues peuvent promou­voir la crois­sance des cultures. Elles sont de plus en plus présentes dans les spécia­lités de nutri­tion et de biosti­mu­la­tion, avec de multiples vertus.

Quatre grandes espèces d’algues  ont déjà été auto­ri­sées en Europe comme stimu­la­teurs de défense des plantes : lami­naire, asco­phylle, ulve laitue, bambou des mers. Toutes figurent dans la liste plus large des biosti­mu­lants, qui compte une dizaine d’espèces. Certaines d’entre elles proviennent de l’Atlantique Nord, comme la lami­naire et l’ascophylle, deux algues brunes assez répan­dues. D’autres sont récol­tées en Afrique du Sud comme le bambou des mers. Trai­tées par des sociétés expertes, les algues ne font plus partie des curio­sités. Elles rentrent désor­mais dans un bon nombre de spécia­lités agri­coles.

Nutri­tion dopée

Que renferment les extraits d’algues ? Toute une série de composés. Les indus­triels comme Leili Marine en Chine ont listé dans les algues sargasses des éléments miné­raux (azote, potas­sium, calcium, magné­sium, cuivre…), des acides aminés, des hormones, des sucres complexes comme l’alginate. L’alginate a la propriété d’agir comme agent chéla­tant. C’est-à-dire qu’il faci­lite l’absorption des éléments miné­raux présents dans les sols. À partir de là, Leili Marine a mis au point plusieurs formu­la­tions d’algues permet­tant de dimi­nuer les apports de ferti­li­sants tout en gagnant du rende­ment et de la qualité de récolte. Son produit phare Alga 600, appliqué au repi­quage des frai­siers, a plusieurs effets, comme l’explique Sally Zhao de Leili : « il augmente la longueur des racines, la surface des feuilles, le diamètre des tiges, la concen­tra­tion en sucre des fruits. »

La société italienne Valagro déve­loppe de son côté un biosti­mu­lant dénommé Yieldon, composé à 65 % d’extraits d’algues complétés par des oligo-éléments, comme le zinc et le manga­nèse. Valagro a montré que ces extraits parti­cipent au trans­port des sucres et des éléments nutri­tifs au sein des plantes. De plus, ils augmentent l’absorption de l’azote et du phos­phore par la plante tout en stimu­lant la divi­sion des cellules. L’effet est double : meilleure nutri­tion et dopage de la crois­sance. « À partir de ces données, nous avons défini les meilleurs dosages de notre biosti­mu­lant sur diffé­rentes cultures : blé, tour­nesol, maïs, riz, colza… » explique Giovanni Marollo de Valagro.

Asco­phylle (Asco­phyllum nodosum).

Ulve laitue (Ulva lactua).

Lami­naire (Lami­naria sp).

Effets anti­stress

Les effets posi­tifs des extraits d’algues ne s’arrêtent pas là. Certaines hormones végé­tales présentes dans les algues comme l’ABA (acide abcis­sique) ont un effet anti­stress démontré. « Nous avons constaté que des plantes trai­tées avec nos extraits d’algues régulent mieux leur tempé­ra­ture en cas de séche­resse. Les stomates des feuilles se ferment plus rapi­de­ment quand la chaleur augmente et les plantes trai­tées récu­pèrent aussi plus vite dès le retour des pluies », avance Katy Shotton de la société cana­dienne Acadian Plant Health qui exploite l’algue
Asco­phyllum. En France, les labo­ra­toires Goëmar appar­te­nant aujourd’hui au groupe Arysta Crop Science, ont travaillé avec le CNRS sur une espèce locale, la lami­naire, commune dans tout l’Atlantique Nord. Au début des années 2000, ils ont prouvé que les sucres complexes (les oligo­sac­cha­rides) présents dans la lami­naire pouvaient réguler les gènes de défense des plantes.

En parti­cu­lier la lami­na­rine, qui a une forme analogue à une substance contenue dans la paroi des cham­pi­gnons patho­gènes. Elle agit comme un leurre pour la plante, qui mobi­lise ses méca­nismes de défense à son contact. Pour cette raison, la lami­na­rine agit unique­ment de façon préven­tive, et ne guérit pas une culture déjà atta­quée. Il faut donc l’utiliser avant que la maladie se déclare, ce qui limite ses usages. En revanche, cet extrait a l’avantage de provenir à 100 % de source biolo­gique et d’être exempt de clas­se­ment toxi­co­lo­gique. À partir de la lami­na­rine, diffé­rentes formu­la­tions de SDP (stimu­la­teur de défense des plantes) telles que le Vacci­plant, ont été déve­lop­pées par Arysta Crop Science.

À Saint-Malo, le labo­ra­toire Goëmar, appar­te­nant aujourd’hui au groupe Arysta Life Science, déve­loppe un savoir-faire de pointe sur les extraits d’algues.

Goémon, l’or noir ?

Les sociétés privées ne sont pas les seules à étudier les algues. Ainsi, le Muséum national d’Histoire natu­relle accom­plit un travail impor­tant de clas­se­ment de ces plantes marines. « Des centaines d’espèces d’algues brunes sont réper­to­riées sur nos côtes, prin­ci­pa­le­ment sur l’Atlantique », souligne Bruno de Reviers. « Le Muséum, qui a rassemblé une large collec­tion, élabore le clas­se­ment des algues brunes selon leur génome, leur mode de crois­sance, la construc­tion de leur appa­reil végé­tatif et leur cycle de vie. »

Une dizaine de cher­cheurs travaillent dans le labo­ra­toire d’Arysta, testant les effets stimu­lants de diffé­rents composés issus de la lami­naire.

En France, les gise­ments d’algues abondent sur les côtes de l’Atlantique. L’ascophyllum, ou goémon noir des côtes bretonnes, est ramassé tradi­tion­nel­le­ment par les goémo­niers, pour servir d’engrais ou pour extraire des algi­nates utilisés dans l’alimentation humaine. C’est une algue brune en forme de corde à nœuds qui se déve­loppe en colo­nies denses. « L’ascophyllum fait l’objet de recherche depuis long­temps comme biosti­mu­lant. » explique Jean-Marie Joubert, Direc­teur de recherche chez Arysta qui coor­donne une équipe d’une dizaine de cher­cheurs dans son labo­ra­toire de Saint-Malo. « Et les avan­cées conti­nuent : nous cher­chons à carac­té­riser les molé­cules extraites de cette algue et à repérer les gènes impli­qués dans leur produc­tion, en liaison avec le CNRS de Roscoff ». Grâce à l’ascophyllum, Arysta a déjà mis au point une gamme de biosti­mu­lants : anti­stress, stimu­la­teur de crois­sance des feuilles ou des racines, stimu­la­teur de nouaison. « Nous allons conti­nuer à déve­lopper des produits plus spéci­fiques au cas par cas pour diffé­rentes cultures », ajoute Jean-Marie Joubert, qui analyse d’autres espèces d’algues.

À travers le monde, les utili­sa­tions décollent, car les gise­ments d’algues sont multiples. L’algue géante des côtes d’Afrique du Sud, Ecklonia maxima, aussi dénommée bambou des mers, fait l’objet d’une véri­table produc­tion marine. « Ecklonia a un compor­te­ment spéci­fique, dû à sa richesse en auxine et cyto­ki­nine, deux hormones végé­tales de crois­sance, présentes dans un rapport inté­res­sant », note Aude Colette, Respon­sable marke­ting de Sumiagro. Ces molé­cules ont des effets stimu­lants sur les racines lorsqu’elles sont appli­quées sur une plante jeune. Utili­sées à un stade plus avancé, elles permettent d’augmenter le calibre des fruits. Il en découle, là aussi, toute une série d’applications. De toute évidence, l’avenir des extraits d’algues passera par la maîtrise de la formu­la­tion, en adap­tant l’extrait à chaque usage : nutri­tion, stimu­la­tion, anti­stress, stimu­la­teur des défenses des plantes. Peu de brevets sont actuel­le­ment déposés sur les extraits d’algues. Au regard de leurs effets multiples, on se situe sans doute à l’aube de cette « tech­no­logie bleue ».

Extraits d’algues en cours de déve­lop­pe­ment comme biosti­mu­lants en Europe

  • Asco­phyllum nodosum
  • Dictyota dicho­toma
  • Ecklonia maxima
  • Lami­naria sp.
  • Phyma­to­li­thon (Litho­tham­nium) calca­reum
  • Macro­cystis pyri­fera
  • Sargassum plagio­phyllum
  • Ulva lactuca