Une ferme laitière dans la Baltique

Søren et Helle Sven­nesen sont éleveurs sur l’île de Barsø, non loin de la côte Danoise. Avec une acti­vité ferme péda­go­gique et 185 holsteins, leurs étés sont chargés. Sans compter tous les défis inhé­rents à l’agriculture insu­laire.

C’est une matinée comme les autres sur l’île de Barsø, à quelques enca­blures de la côte orien­tale du Dane­mark. Helle Sven­nesen mène ses 150 laitières en salle de traite ; pendant ce temps, son mari Søren démarre la char­geuse sur pneus et prépare un mélange d’aliment fermier. Pendant la traite, Helle isole deux vaches qui doivent être insé­mi­nées ce matin. Un des apprentis effectue le paillage des logettes au volant d’un char­geur compact.

Une matinée paisible, donc, rythmée par les tâches quoti­diennes d’une exploi­ta­tion laitière clas­sique. Aucun visi­teur n’est attendu aujourd’hui ; la saison touris­tique n’a pas encore démarré. Mais l’île s’apprête à changer de visage avec le retour des beaux jours. Entre mi-mai et début septembre, le petit ferry qui dessert l’île y apporte jusqu’à 24 passa­gers et trois voitures par jour.

Terre en vue : la traversée jusqu'à Barsø ne dure que 15 minutes.

Le ferry effectue cinq à huit traver­sées par jour.

Arrivé sur l'île, le chauf­feur ramas­seur s'apprête à collecter le lait de la ferme Bjerg­gaard.

1 500 visi­teurs

En été, les touristes affluent. Ils passent géné­ra­le­ment la journée sur Barsø et il faut trouver le temps de s’occuper d’eux. Une charge de travail consé­quente pour les occu­pants de la ferme Bjerg­gaard nichée au cœur de l’îlot. Chaque année, ce sont au minimum 1 500 personnes qui viennent décou­vrir à quoi ressemble l’agriculture insu­laire.

« Ce sont prin­ci­pa­le­ment des groupes scolaires, des centres de loisirs ou encore des parents avec leurs enfants. Parfois, ils passent la nuit dans les bâti­ments que nous avons prévus pour les écoles et autres, » explique Helle à la table du petit-déjeuner où trônent char­cu­te­ries, café et de thé. La traite est terminée et c’est l’heure de reprendre des forces.

Conscient de la valeur péda­go­gique de cette ferme, le Conseil danois de l’agriculture et de l’alimentation verse au couple une compen­sa­tion pour chaque enfant qui pose le pied sur l’île dans le cadre d’une visite scolaire. Pas d’argent, en revanche, pour les dédom­mager des nombreuses heures inves­ties dans l’accueil des autres caté­go­ries des visi­teurs. Il n’y a pas de vente directe, et les revenus tirés de l’hébergement sont anec­do­tiques. Malgré tout, ce n’est pas du temps perdu, sourit l’agricultrice : « Il faut bien qu’ils aient eux aussi la chance de voir une vache ».

Insu­laires, mais pas coupés du monde

L’été est donc très animé sur ce lopin de terre battu par les vagues de la Baltique. Malgré la charge de travail, la famille Sven­nesen veille à s’accorder du temps libre pendant les jours plus longs et chauds : « Nous aimons la navi­ga­tion, la nata­tion… tous les sports prati­qués dans l’eau en général, » explique Søren. « Et quand nous termi­nons la journée de travail plus tôt, nous emme­nons toute la famille et les apprentis sur le conti­nent en canot à moteur. »

Søren Sven­nesen est origi­naire de l’île ; Helle a vécu sur le conti­nent jusqu’à ce qu’elle rencontre son mari en forma­tion agri­cole et décide de le suivre sur Barsø.

En hiver, c’est une tout autre histoire. La nuit tombe tôt au Dane­mark et les cita­dins restent chez eux ; personne ne visite la ferme. Søren et Helle mettent un point d’honneur à accom­pa­gner leurs filles adultes en station de ski chaque année. L’exploitation est confiée aux apprentis pendant une semaine.

La paille, matière dange­reuse

Peu importe la saison – faire tourner une ferme sur Barsø demande une bonne dose d’ingéniosité et de sens pratique. La petite taille du ferry, notam­ment, apporte son lot de compli­ca­tions. « Lorsque nous avons construit un nouveau bâti­ment d’élevage en 2004, nous avons dû mélanger tout le béton sur place parce que le ferry n’était pas assez grand pour trans­porter le camion malaxeur, précise Søren. Et les grandes arches du toit ont dû être amenées en huit morceaux au lieu des deux pièces habi­tuelles. »

Actuel­le­ment c’est la paille qui cause le plus de soucis aux habi­tants de l’île. Lors de la conver­sion à l’agriculture biolo­gique en 2016, la culture des céréales de vente a été aban­donnée. Désor­mais, la surface entière de l’île (270 ha) est destinée au pâtu­rage et à la produc­tion de four­rage gros­sier. Les Sven­nesen doivent se fournir en paille auprès des collègues du conti­nent.

Mais celle-ci est inflam­mable et donc consi­dérée comme une matière dange­reuse lors du trans­port. Du coup, le ferry n’est pas auto­risé à convoyer des passa­gers et de la paille en même temps jusqu’à Barsø. Par ailleurs, selon la régle­men­ta­tion, une personne doit surveiller la cargaison pendant la traversée – au cas où l’une des balles pren­drait feu.

« Nous avons aussi besoin de paille ici pendant la saison touris­tique, à un moment où il y a souvent beau­coup de passa­gers sur le ferry. Du coup, nous devons payer un supplé­ment pour la traversée sans passa­gers. Et la paille doit être emballée pour le trans­port », ajoute Søren.

La citerne arrive et repart par la mer

Par ailleurs, Søren et Helle doivent aller récu­pérer certains aliments comme le maïs grain sec et le soja avec leur propre camion direc­te­ment chez le four­nis­seur. Celui-ci, en effet, ne souhaite pas envoyer un véhi­cule sur l’île. Consé­quence, les éleveurs ne peuvent pas béné­fi­cier d’une remise sur quan­tité.

À l’inverse, le trans­port du lait ne pose pas de gros problèmes. Le camion de la laiterie arrive et repart avec le dernier ferry de la journée. De plus, un accord a été conclu pour que le bateau attende, si la collecte du lait à Bjerg­gaard prend du retard. Fort heureu­se­ment le lait n’est pas inflam­mable… et d’autres passa­gers, comme les touristes, peuvent donc repartir avec.

La citerne d’Arla arrive chez les Sven­nesen après une courte traversée. L’exploitation a changé de laiterie en janvier 2020 et travaille désor­mais avec la coopé­ra­tive bio Naturmælk (30 éleveurs).

À l’herbe 24 heures sur 24

L’exploitation parti­cipe chaque année à une compé­ti­tion de pâtu­rage, qui les oppose à 47 autres fermes biolo­giques. L’objectif est de « mettre autant d’herbe que possible dans les vaches » pendant la saison esti­vale – tout en rédui­sant les coûts d’alimentation.

« Nous sommes arrivés en tête chaque année, depuis que nous parti­ci­pons, explique Helle avec fierté. Nous tirons notre épingle du jeu parce que nos laitières vont et viennent comme bon leur semble 24 heures sur 24. » Le décou­page des parcelles et les accès ont été pensés en consé­quence. « Nous devons juste aller cher­cher celles qui ne sont pas reve­nues pour la traite. »

Sur les 160 ha en herbe, une bonne partie est réservée au pâtu­rage libre.

Søren Sven­nesen insé­mine lui-même ses laitières Holstein.

Helle Krei­berg Sven­nesen lors de la traite mati­nale.

L'exploitation a construit un nouveau bâti­ment en 2004.

Trois taureaux vendus à Viking

Un autre défi passion­nant est la repro­duc­tion, dont Helle est respon­sable. Elle le fait si bien que Bjerg­gaard a fourni trois taureaux à la coopé­ra­tive d’insémination Viking­Ge­ne­tics. « Nous nous concen­trons parti­cu­liè­re­ment sur les para­mètres de santé et nous ne crai­gnons pas d’expérimenter », détaille l’éleveuse.

« Notre premier taureau pour Viking­Ge­ne­tics était VH Barso. Nous avons croisé avec une semence du taureau améri­cain Blind­side que personne n’utilise, que ce soit au Dane­mark ou ailleurs, et insé­miné l’une de nos meilleures génisses. Nous l’avons toujours et elle en est main­te­nant à sa septième lacta­tion ! Nous comp­tons en moyenne 4,5 lacta­tions par vache. »

Søren Sven­nesen produit du maïs four­rage sur 30 ha.

La passion de Helle pour l’amélioration géné­tique l’a poussée à rejoindre le conseil des repré­sen­tants de Viking­Ge­ne­tics pour le Dane­mark. Søren est égale­ment actif en tant que membre du comité de l’association de produc­teurs Land­boSyd. Ils se rendent régu­liè­re­ment sur le conti­nent pour les réunions : « Nous avons notre propre bateau avec lequel nous pouvons faire la traversée en à peine quatre minutes, et nous avons une voiture garée de l’autre côté, explique Søren. Les dépla­ce­ments ne sont pas plus aussi diffi­ciles pour nous que pour les collègues de l’association. Quand vous avez comme moi grandi sur une île, ça paraît parfai­te­ment normal de sortir le bateau quand c’est néces­saire. »

Barsø

  • Île de 2,7 kilo­mètres carrés de super­ficie dans le Jutland du Sud
  • 14 habi­tants y vivent tout au long de l’année dans la moitié des 20 maisons de l’île. Les autres habi­ta­tions sont des rési­dences de vacances.
  • Ferry de Barsø Landing, 12 km au nord-est de la ville d’Aabenraa. Cinq à huit traver­sées par jour.
  • Paysage vallonné au sol argi­leux et sablon­neux, dont le point le plus haut s’élève à 39 mètres au-dessus du niveau de la mer.

Ferme laitière de Bjerg­gaard

  • Seule ferme de Barsø
  • Propriété de Søren Sven­nesen et Helle Krei­berg Sven­nesen depuis 2001.
  • 185 vaches (Holstein) en produc­tion
  • Système entiè­re­ment biolo­gique en 2017. Four­nis­seur de la laiterie Naturmælk depuis 2020.
  • 250 hectares dont 50 en prairie perma­nentes (sur le pour­tour de l’île).
  • Asso­le­ment : 30 ha de maïs, 60 ha de seigle récolté en vert et 110 ha d’herbe pour la fauche et le pâtu­rage.
  • Inscrite dans le programme d’attractions agri­coles du Conseil danois de l’agriculture et de l’alimentation.