Un second souffle pour le blé dur

Les produc­teurs fran­çais se mobi­lisent pour créer de nouvelles filières de produc­tion, tour­nées vers le “0 résidu” et pour­quoi pas, le local. Le virage s’amorce.

Pour le blé dur, la région Centre est histo­ri­que­ment dans le secteur le plus au nord », souligne Frédéric Gond, céréa­lier à Tavers dans le Loiret. Très impliqué dans la filière, puisqu’il est Président du comité tech­nique Blé dur Arvalis et admi­nis­tra­teur de la coopé­ra­tive Axereal, ce produc­teur en cultive 15 à 20 hectares sur une surface totale de 180 hectares. Frédéric Gond fait aussi partie d’un comité de pilo­tage national et de réflexion sur la culture. Des idées, il en faut pour redonner du “peps” à la produc­tion fran­çaise !

Le blé dur a en effet perdu un quart de ses surfaces en 2018 en France, au Centre comme au Sud. Et pour­tant, les trans­for­ma­teurs sont en attente de grains de qualité, que l’on trouve en France. La teneur en protéine de nos récoltes s’avère géné­ra­le­ment bonne, avec 14 % de moyenne, tout en ayant une qualité sani­taire contrôlée. La baisse passa­gère des surfaces en 2018 s’explique par une moins bonne valo­ri­sa­tion sur des marchés dont les cours sont indexés sur le niveau mondial. Il faut savoir que plus de 70 % de la produc­tion fran­çaise est exportée et donc direc­te­ment soumise à la concur­rence d’autres grands pays expor­ta­teurs comme le Canada, le Mexique, la Turquie…

Les Fran­çais consomment 8 kg de pâtes par an et par habi­tant.

Sur ce marché inter­na­tional, le blé dur fran­çais dispose de bons atouts. Son rende­ment total en semoule est très élevé, ce qui lui confère un avan­tage pour les ache­teurs des pays du sud. De plus, il répond bien à leurs exigences pour la qualité du grain et la couleur, très impor­tante pour obtenir une semoule jaune. Sur le marché euro­péen, la filière fran­çaise est aussi bien placée. Elle commer­cia­lise des grains à faible taux de mouche­ture, un critère qui permet de fabri­quer des pâtes alimen­taires sans piqûres, donc sans défaut visuel. Le marché inté­rieur fran­çais demeure quant à lui porteur. Chaque Fran­çais consomme 8 kilos de pâtes alimen­taires chaque année. Pour conti­nuer à séduire le consom­ma­teur, la filière n’échappera pour­tant pas à une évolu­tion.

Sans doute faudra-t-il s’affirmer avec de nouveaux argu­ments, tels que la natu­ra­lité du cous­cous et surtout des pâtes, dont la recette se résume le plus souvent à “semoule de blé dur + eau”. Et aussi devra-t-on insister sur l’origine hexa­go­nale de la matière première – blé dur – dans la mesure où le consom­ma­teur fran­çais devient de plus en plus exigeant sur la prove­nance de l’aliment.

À la récolte un double enjeu : un grain de blé dur ayant la bonne valeur en protéines (> 12 %) et sous le seuil de réfac­tion pour le mita­di­nage (< 30 %).

Vers le 0 résidu

Une des nouvelles filières déjà en réflexion est celle d’un blé dur “0 résidu origine France”. Les grands indus­triels comme Panzani élaborent en effet le schéma de fabri­ca­tion d’une “pâte alimen­taire nature” à l’horizon 2025. « Pour atteindre ces objec­tifs », pour­suit Frédéric Gond, « nous avons plusieurs attentes : avoir une meilleure résis­tance géné­tique des variétés de blé dur à la fusa­riose, choisir des protec­tions qui ne laissent pas de résidus et apprendre à ne plus utiliser d’insecticides de stockage », ajoute-t-il. « Je consi­dère que cette filière 0 résidu serait une oppor­tu­nité, bien qu’elle nous expose à une hausse des coûts de produc­tion. »

La voie du blé dur “Zéro résidu” est à l’étude, elle n’interdit pas forcé­ment un emploi des produits de trai­te­ment pour les produc­teurs, si les inter­ven­tions sont bien gérées.

Le défi n’est pas encore gagné. En effet, des essais conduits dans l’ouest suivant une démarche “zéro pesti­cide” font état de baisses de rende­ment de 10 à 30 q/ha dues à la nuisi­bi­lité des mala­dies, rouille brune et fusa­riose. Un handicap sérieux pour l’essor d’une produc­tion sans phyto, alors que le “zéro myco­toxine” sur le grain n’est pas forcé­ment garanti chaque année. Ces toxines indé­si­rables sont produites par les souches de fusa­rioses présentes sur le grain avant la récolte. Or les taux imposés sont aujourd’hui extrê­me­ment bas. Dans une seconde voie, le “zéro résidu” n’interdit pas néces­sai­re­ment l’utilisation de pesti­cides quand cela s’avère néces­saire, pourvu que la mise en pratique soit parfai­te­ment soignée. L’Institut Arvalis est impliqué pour trouver des solu­tions et tester les pratiques rentables : désher­bage méca­nique, biocon­trôle pour limiter les mala­dies, lutte inté­grée pour la protec­tion contre les insectes de stockage… « Nous creu­sons plusieurs pistes », confie Matthieu Kill­meyer, ingé­nieur Arvalis-Institut du Végétal.

Autre voie de diffé­ren­cia­tion possible : celle du blé dur biolo­gique, produit sans aucun trai­te­ment ni engrais chimique. L’entreprise Alpina Savoie, qui achète et trans­forme la majeure partie des blés durs bio en France vient de mettre en place un macaron “zéro résidu de pesti­cide” sur ses pâtes alimen­taires. Les 5 000 hectares de blé dur bio produits en France en 2017 repré­sentent à peine 1,5 % des surfaces natio­nales. Et les diffé­ren­tiels de prix blé dur bio, assez faibles, ne sont pas inci­ta­teurs. Produc­teurs et tech­ni­ciens doivent revoir tota­le­ment l’itinéraire et même le réin­venter ! « Une atten­tion parti­cu­lière doit être apportée à la conduite de la ferti­li­sa­tion azotée pour atteindre les stan­dards en protéines, supé­rieurs à 12 %, rester sous le seuil de réfac­tion pour le mita­di­nage (< 30 %) et avoir des grains propres à la récolte », souligne Matthieu Kill­meyer.

La rota­tion et le choix variétal semblent être les prin­ci­paux leviers tech­niques pour atteindre ces objec­tifs. Malheu­reu­se­ment, le progrès géné­tique sur blé dur tourne moins vite que pour le blé tendre, car les surfaces sont bien plus réduites. Seule­ment deux sélec­tion­neurs en France inves­tissent sur cette espèce, à savoir RAGT et Flori­mond Desprez. Pour stabi­liser une produc­tion bio, on manque aussi de repères sur les effets des succes­sions cultu­rales : inter­cul­tures, précé­dents, fréquence des légu­mi­neuses en fonc­tion des apports de produits orga­niques.

Haro sur la qualité

« À l’avenir, on ne devra pas tout miser sur le rende­ment, mais sur la qualité », affirme pour sa part Frédéric Gond. En effet, les variétés plus résis­tantes à la fusa­riose, qui devraient arriver, vont limiter ou éviter la présence des myco­toxines fabri­quées par le cham­pi­gnon. Autre volet géné­tique impor­tant : créer des variétés peu sensibles à la mouche­ture. Ce défaut est en effet rédhi­bi­toire pour vendre du blé dur dans les pays orien­taux, mais aussi à la plupart des indus­tries de la pâte alimen­taire. La géné­tique seule ne suffira pas. Les voies de progrès reposent aussi sur l’agronomie. Conscient de l’enjeu, Frédéric Gond pilote ses apports d’azote avec Farm­star, ce qui lui permet d’obtenir un taux de protéines élevé, sans surdose d’azote. Et pour dimi­nuer ses coûts de produc­tion, il a mutua­lisé une bonne partie de ses maté­riels avec des voisins.

Le blé dur me permet de diver­si­fier les cultures dans la rota­tion.

Frédéric Gond

Installé en Vendée, Didier Plaire est un autre produc­teur partisan de cette culture. Il y consacre la moitié des surfaces de son exploi­ta­tion à L’Aiguillon-sur-Mer. « Je cultive 75 à 80 hectares tous les ans. Sur notre zone proche de la côte Atlan­tique, nous arri­vons à faire de la qualité, car l’air marin assèche les épis. Les grains ont été peu atta­qués par la fusa­riose en 2018, et ils affi­chaient un faible taux de mita­di­nage. » Dans cette région à climat doux, le blé dur béné­ficie de condi­tions parti­cu­liè­re­ment favo­rables. Il peut être semé très tard, en janvier-février, ce qui évite les attaques de mosaïque. Avec un rende­ment entre 65 et 70 q/ha, Didier Plaire est satis­fait de la valo­ri­sa­tion, basée sur les contrats passés avec sa coopé­ra­tive, la CAVAC.

Ces contrats de filière permettent déjà une traça­bi­lité exem­plaire. « Nous réflé­chis­sons à élaborer une filière 0 résidu en Vendée. Une filière biolo­gique reste actuel­le­ment plus diffi­cile à orga­niser, car pour faire un blé dur de qualité, il faut de l’azote ! », conclut-il. En Vendée comme en Beauce, le blé dur a sa carte à jouer. « Je tiens vrai­ment à pour­suivre cette produc­tion », affirme aussi Frédéric Gond. « Le blé dur me permet de diver­si­fier les cultures dans la rota­tion. Avec des rende­ments de 65 q/ha en moyenne, nous avons besoin d’une rému­né­ra­tion minimum de 220 €/t pour gagner notre vie. » 

Repères

  • Produc­tion : 2,3 millions de tonnes
  • Expor­ta­tions : 1,45 million de tonnes
  • Rende­ment moyen : 5 t/ha
  • Surfaces : 450 000 hectares en moyenne