Une nette augmentation des prix de quatre principaux intrants agricoles – engrais, carburant, électricité et concentré – a entraîné une hausse totale des charges d’intrants en Suède de 10 milliards de couronnes suédoises (950 millions d’euros), selon Palle Borgström, président de la Fédération des agriculteurs suédois. Pour 2023, beaucoup des producteurs du pays nordique redoutent le scénario d’une baisse des prix à la production plus rapide que celle des coûts d’intrants.
Nombreux sont les agriculteurs suédois qui auraient fait faillite sans la hausse des prix des céréales.
Palle Borgström
La crise des coûts a incité nombre d’agriculteurs à explorer des pistes nouvelles pour sécuriser leurs revenus. En grandes cultures ou en polyculture-élevage, il reste des variables d’ajustement sur chaque étape de la production, qu’il s’agisse de comprimer les coûts ou plus généralement d’améliorer la marge.
Huit leviers d’économies dans les systèmes de production
Travail du sol
Le non-labour a gagné du terrain en Suède suite à l’augmentation des coûts de carburant, et les agriculteurs abandonnent de plus en plus leur charrue au profit du pulvérisateur pour désherber.
« Un labour est bien plus gourmand en fuel qu’une pulvérisation », pointe Fredrik Hallefält, conseiller à l’Institut suédois de la ruralité et de l’agriculture. Per Sahlberg, agriculteur à Tagelberg Gård, dans la province suédoise de Västergötland, est passé de 40 % labour sur ses 700 ha à une culture (presque) sans retournement du sol, réalisant des économies conséquentes. « Rien que sur mon pré-semis, j’ai réussi à réduire ma consommation de carburant de 40 litres/ha à seulement 10 litres/ha », observe-t-il. Le labour reste nécessaire pour l’implantation de nouvelles prairies, après une légumineuse, ou dans le cas d’un fort salissement des parcelles.
Semis
Si le poste semences n’est pas directement impacté jusqu’à présent, les agriculteurs suédois n’excluent pas une prochaine hausse et cherchent d’ores et déjà des pistes compenser celle-ci. Pas question évidemment de semer plus clair. Les agriculteurs interrogés ne souhaitent pas compromettre une bonne récolte avec des prix des céréales restent élevés.
Mais il existe des moyens d’économiser sur les semences, comme le démontre Jonas Nilsson, qui gère avec son frère et son père une exploitation de 800 ha associant l’élevage de poulet et les grandes cultures à Äspäng. « Nous nous sommes lancés dans la modulation du semis. Il nous reste souvent un à deux sacs de semences de la commande passée. »
Concernant le choix de variétés, Per Sahlberg note que celui-ci dépend souvent de la demande au niveau des marchés et des négociants, mais aussi de la perception du risque par l’agriculteur. Il ajoute : « Les agriculteurs ont maintenant davantage tendance à laisser en jachère les terres moins fertiles, plutôt que d’y investir avec des coûts d’intrants élevés, au risque d’obtenir seulement une maigre récolte. »
Rotation culturale
En Suède, avec la hausse du prix des intrants, beaucoup hésitent à introduire de nouvelles plantes dans la rotation et préfèrent miser davantage sur les cultures de vente pour sécuriser un revenu. Citant l’exemple d’un agriculteur qui a semé l’intégralité de ses terres en blé d’hiver l’an passé, Fredrik Tidström, conseiller et exploitant agricole à Växtab, souhaite relativiser le risque lié à une telle spécialisation. « En général, c’est une bonne stratégie d’opter pour des cultures sûres comme le blé d’hiver et le colza d’hiver. Si l’hiver est mauvais, on peut toujours resemer au printemps », remarque-t-il, ajoutant qu’il a vu des champs où le blé avait été cultivé pendant 50 ans d’affilée sans perte de rendement ni dégradation des sols. Quant à Per Sahlberg, des conditions automnales favorables en 2022 lui ont permis d’augmenter la superficie dédiée au blé d’hiver et au colza d’hiver (2022). « Les conditions de semis pour le blé étaient excellentes cet automne. »
Dans le Nord de la Suède en revanche, un climat plus rude a rendu la perspective des cultures d’hiver moins évidente. Certains optent néanmoins pour le blé d’hiver en remplacement de cultures comme l’orge de printemps, rapporte Sigrid Tirén, conseillère agricole pour la fédération suédoise d’économie rurale et de sociétés agricoles. « Il y a deux raisons à cela : le blé d’hiver donne de meilleurs rendements, et demande moins de travail au cours du printemps, qui est toujours une période intense pour les éleveurs. »
Sur fond d’augmentation du prix des concentrés, beaucoup d’éleveurs visent par ailleurs à augmenter leur indépendance en protéines en développant la sole des légumineuses. Plus généralement, ils visent davantage d’autonomie fourragère. Joakim Jonsson, éleveur bovin à Vaggeryd, a quant à lui semé du sorgho du Soudan pour la première fois cette année. « C’est une variété sensible au froid, mais qui à part ça est facile à cultiver. Les rendements sont bons, et nous fertilisons uniquement avec du lisier, » explique-t-il. « Nous ne savons pas si le bétail va apprécier, mais le sorgho du Soudan est couramment cultivé [comme fourrage] hors de la Suède . »
Les coûts d’aliment élevés ont aussi posé un sérieux problème aux agriculteurs biologiques, forçant un grand nombre d’entre eux à revenir au conventionnel. La hausse fulgurante des coûts a coïncidé avec des prix plus élevés dans la grande distribution, poussant les consommateurs à se détourner des produits bio. « Le prix des concentrés protéiques biologiques a doublé et certains agriculteurs ont économisé jusqu’à 300 000 SEK (27 000 €) sur les coûts d’aliment en passant au conventionnel, » expose Andreas Svensson, conseiller agricole au groupe consultatif SRAS.
Fertilisation
« Mes charges d’engrais sont passées de 2 000 à 7 000 couronnes/ha (187 – 648 €) », révélait Jonas Nilsson au Sillon, en octobre dernier. Mais les coûts ne constituent pas le seul obstacle – l’approvisionnement, en Suède comme ailleurs, a été difficile durant les derniers mois. « Le problème a commencé à se poser lors de la pandémie de Covid-19 », explique-t-il. « Cela s’est aggravé avec le conflit en Ukraine car le potassium et le phosphore étaient importés de Biélorussie et de Russie – j’ai donc réduit mon utilisation d’engrais. »
Il a commencé à appliquer azote, potassium et phosphore en trois fois, et surtout en s’appuyant sur des cartes d’application. Avec le recul, il estime que l’économie localisée de fertilisant, doublée d’une meilleure expression du potentiel de rendement, avait eu un impact positif sur la marge malgré la consommation de gazole. « Je dois faire plus de passages, mais cela en vaut la peine avec les prix des céréales que l’on a en ce moment. Il faut appliquer le bon produit au bon endroit au bon moment. »
Mats Eriksson, du fournisseur BM Agri, observe sur le terrain que les agriculteurs privilégient plus souvent les impasses en P et K, mais il recommande d’être prudent concernant les doses d’azote. BM Agri a suspendu temporairement une partie de ses importations d’engrais en 2022 en raison des cours élevés. « Les agriculteurs recherchent de l’azote liquide et de l’urée ainsi que du fumier, des boues et des produits dérivés du biogaz, comme alternatives moins coûteuses. »
Les éleveurs tendent aussi à ajuster plus finement leur utilisation du lisier, notamment lors d’un épandage sur des prairies de fauche ou de pâture ; la qualité de l’herbe reste une variable clé pour assurer les rendements de l’élevage. « Beaucoup d’agriculteurs épandent désormais davantage de lisier », observe Fredrik Tidström, conseiller et exploitant agricole à Växtab. « Mais nous devons améliorer notre aptitude à l’analyser afin de l’utiliser de façon plus efficiente, en particulier pour ce qui est de la teneur en azote et en phosphore. »
Protection des plantes
Ici, un constat domine : la protection des cultures est un aspect sur lequel les agriculteurs suédois ne sont pas prêts à faire de compromis. « Les fongicides ne représentent pas une dépense importante. En revanche le prix du glyphosate a doublé », témoigne Jonas Nilsson. Mais malgré ces prix plus élevés, la protection des cultures n’est pas non plus un point sur lequel Per Sahlberg cherchera à économiser. « Il faut garder les adventices sous contrôle et, même avec un prix du glyphosate multiplié par deux, je ne veux pas voir une explosion d’adventices pour économiser 300 Skr/ha (27€) après avoir autant investi dans les engrais et autres… Je vise un rendement maximal. »
Le stockage des récoltes comme variable d’ajustement
En Suède, les exploitants en grandes cultures qui ont acheté la majeure partie de leurs intrants aux prix de 2021 et ont vendu leurs céréales cours prix de 2022 s’en sont bien sortis. Une baisse des prix de vente compliquera évidemment les choses, anticipe le sonseiller Fredrik Tidström. « Il est judicieux de vendre au maximum 5 % – 10 % par semaine au cours actuel, de même qu’il convient d’étaler les achats d’intrants. »
Per Sahlberg est en capacité de stocker environ 70 % de sa récolte sur l’exploitation, ce qui correspond au volume qu’il peut en théorie engager avant récolte, que ce soit à travers des contrats ou sur les marchés à terme. Il s’attend actuellement à une baisse des prix et s’est ainsi positionné sur un prix fixe pour 50 % de sa récolte (octobre 2022, ndlr).
Le risque est bien sûr de ne pas pouvoir fournir le volume engagé en cas de ratage. « Mais on ne peut pas pour autant rester les bras croisés et ne rien faire », poursuit Fredrik Tidström. « Dans la situation qui est la nôtre aujourd’hui, il faut de la créativité, il faut penser différemment. Cela demande un forte implication de la part de l’agriculteur. »
Carburant
Les prix du GNR ayant doublé entre 2021 et 2022, le bon réglage des machines, mais aussi leur bonne utilisation, demeurent un point crucial. Fredrik Hallefält, qui est également conseiller en écoconduite, rappelle différents fondamentaux pour réduire les frais de carburant et de maintenance. « La machine est à l’arrêt sur 25 % du temps où le moteur tourne. Couper le moteur, c’est bien sûr d’économiser du carburant, mais c’est aussi prolonger l’intervalle entre les maintenances, et limiter la dépréciation à la revente. »
Il recommande également de surveiller la pression des pneumatiques, autre levier pour économiser le GNR. Le télégonflage est selon lui un investissement à considérer dans le context actuel. Enfin, un réglage précis de la profondeur de travail est tout aussi crucial, souligne Hallefält. « Il ne faut pas labourer plus profondément que nécessaire, car chaque centimètre supplémentaire accroît la charge de travail. Chaque centimètre de profondeur représente jusqu’à 150 tonnes de terre par hectare. »
Électricité et gaz
Outre la hausse des coûts d’intrants, les agriculteurs doivent aussi faire face à des coûts énergétiques accrus, généralement fixés sur une longue période et donc sans marge de manœuvre à court terme. Les conseillers en efficacité énergétique incitent de plus en plus souvent les agriculteurs à bien surveiller à leur consommation d’électricité et à chercher des mesures d’économie sur ce poste.
En Suède, les demandes d’autorisation pour la construction de méthaniseurs ont été multipliées par dix l’année dernière. Le groupe de conseil SRAS travaille actuellement sur une « centrale électrique numérique » qui aidera les agriculteurs à surveiller leur utilisation de l’électricité. À l’avenir, l’outil pourra aussi aider les agriculteurs produisant de l’électricité sur leur exploitation à vendre leur surplus à des prix plus élevés.