Suède : des mesures pour compenser les charges d’intrants

Les agri­cul­teurs suédois ont vu leurs coûts d’intrants augmenter de 25 % l’an passé. Si une hausse des prix de vente a permis de compenser, en partie, cette infla­tion, les exploi­ta­tions sont amenées à revoir leurs stra­té­gies pour plus de sobriété.

Une nette augmen­ta­tion des prix de quatre prin­ci­paux intrants agri­coles – engrais, carbu­rant, élec­tri­cité et concentré – a entraîné une hausse totale des charges d’intrants en Suède de 10 milliards de couronnes suédoises (950 millions d’euros), selon Palle Borg­ström, président de la Fédé­ra­tion des agri­cul­teurs suédois. Pour 2023, beau­coup des produc­teurs du pays nordique redoutent le scénario d’une baisse des prix à la produc­tion plus rapide que celle des coûts d’intrants.

Nombreux sont les agri­cul­teurs suédois qui auraient fait faillite sans la hausse des prix des céréales.

Palle Borg­ström

La crise des coûts a incité nombre d’agriculteurs à explorer des pistes nouvelles pour sécu­riser leurs revenus. En grandes cultures ou en poly­cul­ture-élevage, il reste des variables d’ajustement sur chaque étape de la produc­tion, qu’il s’agisse de comprimer les coûts ou plus géné­ra­le­ment d’améliorer la marge.

Huit leviers d’économies dans les systèmes de produc­tion

Travail du sol

Le non-labour a gagné du terrain en Suède suite à l’augmentation des coûts de carbu­rant, et les agri­cul­teurs aban­donnent de plus en plus leur charrue au profit du pulvé­ri­sa­teur pour désherber. 

Per Sahl­berg consi­dére les mesures de réduc­tion de la consom­ma­tion de GNR comme une de ses prio­rités.

« Un labour est bien plus gour­mand en fuel qu’une pulvé­ri­sa­tion », pointe Fredrik Hallefält, conseiller à l’Institut suédois de la rura­lité et de l’agriculture. Per Sahl­berg, agri­cul­teur à Tagel­berg Gård, dans la province suédoise de Västergöt­land, est passé de 40 % labour sur ses 700 ha à une culture (presque) sans retour­ne­ment du sol, réali­sant des écono­mies consé­quentes. « Rien que sur mon pré-semis, j’ai réussi à réduire ma consom­ma­tion de carbu­rant de 40 litres/ha à seule­ment 10 litres/ha », observe-t-il. Le labour reste néces­saire pour l’implantation de nouvelles prai­ries, après une légu­mi­neuse, ou dans le cas d’un fort salis­se­ment des parcelles.

Semis

Si le poste semences n’est pas direc­te­ment impacté jusqu’à présent, les agri­cul­teurs suédois n’excluent pas une prochaine hausse et cherchent d’ores et déjà des pistes compenser celle-ci. Pas ques­tion évidem­ment de semer plus clair. Les agri­cul­teurs inter­rogés ne souhaitent pas compro­mettre une bonne récolte avec des prix des céréales restent élevés.

Avec son frère et son père, Jonas Nilsson exploite 800 ha en poly­cul­ture élevage.

Mais il existe des moyens d’économiser sur les semences, comme le démontre Jonas Nilsson, qui gère avec son frère et son père une exploi­ta­tion de 800 ha asso­ciant l’élevage de poulet et les grandes cultures à Äspäng. « Nous nous sommes lancés dans la modu­la­tion du semis. Il nous reste souvent un à deux sacs de semences de la commande passée. »

Concer­nant le choix de variétés, Per Sahl­berg note que celui-ci dépend souvent de la demande au niveau des marchés et des négo­ciants, mais aussi de la percep­tion du risque par l’agriculteur. Il ajoute : « Les agri­cul­teurs ont main­te­nant davan­tage tendance à laisser en jachère les terres moins fertiles, plutôt que d’y investir avec des coûts d’intrants élevés, au risque d’obtenir seule­ment une maigre récolte. »

Rota­tion cultu­rale

En Suède, avec la hausse du prix des intrants, beau­coup hésitent à intro­duire de nouvelles plantes dans la rota­tion et préfèrent miser davan­tage sur les cultures de vente pour sécu­riser un revenu. Citant l’exemple d’un agri­cul­teur qui a semé l’intégralité de ses terres en blé d’hiver l’an passé, Fredrik Tidström, conseiller et exploi­tant agri­cole à Växtab, souhaite rela­ti­viser le risque lié à une telle spécia­li­sa­tion. « En général, c’est une bonne stra­tégie d’opter pour des cultures sûres comme le blé d’hiver et le colza d’hiver. Si l’hiver est mauvais, on peut toujours resemer au prin­temps », remarque-t-il, ajou­tant qu’il a vu des champs où le blé avait été cultivé pendant 50 ans d’affilée sans perte de rende­ment ni dégra­da­tion des sols. Quant à Per Sahl­berg, des condi­tions autom­nales favo­rables en 2022 lui ont permis d’augmenter la super­ficie dédiée au blé d’hiver et au colza d’hiver (2022). « Les condi­tions de semis pour le blé étaient excel­lentes cet automne. »

Dans le Nord de la Suède en revanche, un climat plus rude a rendu la pers­pec­tive des cultures d’hiver moins évidente. Certains optent néan­moins pour le blé d’hiver en rempla­ce­ment de cultures comme l’orge de prin­temps, rapporte Sigrid Tirén, conseillère agri­cole pour la fédé­ra­tion suédoise d’économie rurale et de sociétés agri­coles. « Il y a deux raisons à cela : le blé d’hiver donne de meilleurs rende­ments, et demande moins de travail au cours du prin­temps, qui est toujours une période intense pour les éleveurs. »

Jonas Nilsson mise sur la modu­la­tion pour réaliser des écono­mies d’intrants.

Sur fond d’augmentation du prix des concen­trés, beau­coup d’éleveurs visent par ailleurs à augmenter leur indé­pen­dance en protéines en déve­lop­pant la sole des légu­mi­neuses. Plus géné­ra­le­ment, ils visent davan­tage d’autonomie four­ra­gère. Joakim Jonsson, éleveur bovin à Vaggeryd, a quant à lui semé du sorgho du Soudan pour la première fois cette année. « C’est une variété sensible au froid, mais qui à part ça est facile à cultiver. Les rende­ments sont bons, et nous ferti­li­sons unique­ment avec du lisier, » explique-t-il. « Nous ne savons pas si le bétail va appré­cier, mais le sorgho du Soudan est couram­ment cultivé [comme four­rage] hors de la Suède . »

Les coûts d’aliment élevés ont aussi posé un sérieux problème aux agri­cul­teurs biolo­giques, forçant un grand nombre d’entre eux à revenir au conven­tionnel. La hausse fulgu­rante des coûts a coïn­cidé avec des prix plus élevés dans la grande distri­bu­tion, pous­sant les consom­ma­teurs à se détourner des produits bio. « Le prix des concen­trés protéiques biolo­giques a doublé et certains agri­cul­teurs ont écono­misé jusqu’à 300 000 SEK (27 000 €) sur les coûts d’aliment en passant au conven­tionnel, » expose Andreas Svensson, conseiller agri­cole au groupe consul­tatif SRAS.

Ferti­li­sa­tion

« Mes charges d’engrais sont passées de 2 000 à 7 000 couronnes/ha (187 – 648 €) », révé­lait Jonas Nilsson au Sillon, en octobre dernier. Mais les coûts ne consti­tuent pas le seul obstacle – l’approvisionnement, en Suède comme ailleurs, a été diffi­cile durant les derniers mois. « Le problème a commencé à se poser lors de la pandémie de Covid-19 », explique-t-il. « Cela s’est aggravé avec le conflit en Ukraine car le potas­sium et le phos­phore étaient importés de Biélo­russie et de Russie – j’ai donc réduit mon utili­sa­tion d’engrais. »

Il a commencé à appli­quer azote, potas­sium et phos­phore en trois fois, et surtout en s’appuyant sur des cartes d’application. Avec le recul, il estime que l’économie loca­lisée de ferti­li­sant, doublée d’une meilleure expres­sion du poten­tiel de rende­ment, avait eu un impact positif sur la marge malgré la consom­ma­tion de gazole. « Je dois faire plus de passages, mais cela en vaut la peine avec les prix des céréales que l’on a en ce moment. Il faut appli­quer le bon produit au bon endroit au bon moment. »

Jonas Nilsson crée ses cartes de modu­la­tion sur MyJohn­Deere.

Mats Eriksson, du four­nis­seur BM Agri, observe sur le terrain que les agri­cul­teurs privi­lé­gient plus souvent les impasses en P et K, mais il recom­mande d’être prudent concer­nant les doses d’azote. BM Agri a suspendu tempo­rai­re­ment une partie de ses impor­ta­tions d’engrais en 2022 en raison des cours élevés. « Les agri­cul­teurs recherchent de l’azote liquide et de l’urée ainsi que du fumier, des boues et des produits dérivés du biogaz, comme alter­na­tives moins coûteuses. »

Les éleveurs tendent aussi à ajuster plus fine­ment leur utili­sa­tion du lisier, notam­ment lors d’un épan­dage sur des prai­ries de fauche ou de pâture ; la qualité de l’herbe reste une variable clé pour assurer les rende­ments de l’élevage. « Beau­coup d’agriculteurs épandent désor­mais davan­tage de lisier », observe Fredrik Tidström, conseiller et exploi­tant agri­cole à Växtab. « Mais nous devons améliorer notre apti­tude à l’analyser afin de l’utiliser de façon plus effi­ciente, en parti­cu­lier pour ce qui est de la teneur en azote et en phos­phore. »

Protec­tion des plantes

Ici, un constat domine : la protec­tion des cultures est un aspect sur lequel les agri­cul­teurs suédois ne sont pas prêts à faire de compromis. « Les fongi­cides ne repré­sentent pas une dépense impor­tante. En revanche le prix du glypho­sate a doublé », témoigne Jonas Nilsson. Mais malgré ces prix plus élevés, la protec­tion des cultures n’est pas non plus un point sur lequel Per Sahl­berg cher­chera à écono­miser. « Il faut garder les adven­tices sous contrôle et, même avec un prix du glypho­sate multi­plié par deux, je ne veux pas voir une explo­sion d’adventices pour écono­miser 300 Skr/ha (27€) après avoir autant investi dans les engrais et autres… Je vise un rende­ment maximal. »

Le stockage des récoltes comme variable d’ajustement

En Suède, les exploi­tants en grandes cultures qui ont acheté la majeure partie de leurs intrants aux prix de 2021 et ont vendu leurs céréales cours prix de 2022 s’en sont bien sortis. Une baisse des prix de vente compli­quera évidem­ment les choses, anti­cipe le sonseiller Fredrik Tidström. « Il est judi­cieux de vendre au maximum 5 % – 10 % par semaine au cours actuel, de même qu’il convient d’étaler les achats d’intrants. »

Per Sahl­berg s’est équipé d’une capa­cité de stockage impor­tante pour pouvoir vendre ses céréales au meilleur prix.

Per Sahl­berg est en capa­cité de stocker environ 70 % de sa récolte sur l’exploitation, ce qui corres­pond au volume qu’il peut en théorie engager avant récolte, que ce soit à travers des contrats ou sur les marchés à terme. Il s’attend actuel­le­ment à une baisse des prix et s’est ainsi posi­tionné sur un prix fixe pour 50 % de sa récolte (octobre 2022, ndlr).

Le risque est bien sûr de ne pas pouvoir fournir le volume engagé en cas de ratage. « Mais on ne peut pas pour autant rester les bras croisés et ne rien faire », pour­suit Fredrik Tidström. « Dans la situa­tion qui est la nôtre aujourd’hui, il faut de la créa­ti­vité, il faut penser diffé­rem­ment. Cela demande un forte impli­ca­tion de la part de l’agriculteur. »

Carbu­rant

Les prix du GNR ayant doublé entre 2021 et 2022, le bon réglage des machines, mais aussi leur bonne utili­sa­tion, demeurent un point crucial. Fredrik Hallefält, qui est égale­ment conseiller en écocon­duite, rappelle diffé­rents fonda­men­taux pour réduire les frais de carbu­rant et de main­te­nance. « La machine est à l’arrêt sur 25 % du temps où le moteur tourne. Couper le moteur, c’est bien sûr d’économiser du carbu­rant, mais c’est aussi prolonger l’intervalle entre les main­te­nances, et limiter la dépré­cia­tion à la revente. »


Il recom­mande égale­ment de surveiller la pres­sion des pneu­ma­tiques, autre levier pour écono­miser le GNR. Le télé­gon­flage est selon lui un inves­tis­se­ment à consi­dérer dans le context actuel. Enfin, un réglage précis de la profon­deur de travail est tout aussi crucial, souligne Hallefält. « Il ne faut pas labourer plus profon­dé­ment que néces­saire, car chaque centi­mètre supplé­men­taire accroît la charge de travail. Chaque centi­mètre de profon­deur repré­sente jusqu’à 150 tonnes de terre par hectare. »

Élec­tri­cité et gaz

Outre la hausse des coûts d’intrants, les agri­cul­teurs doivent aussi faire face à des coûts éner­gé­tiques accrus, géné­ra­le­ment fixés sur une longue période et donc sans marge de manœuvre à court terme. Les conseillers en effi­ca­cité éner­gé­tique incitent de plus en plus souvent les agri­cul­teurs à bien surveiller à leur consom­ma­tion d’électricité et à cher­cher des mesures d’économie sur ce poste.

En Suède, les demandes d’autorisation pour la construc­tion de métha­ni­seurs ont été multi­pliées par dix l’année dernière. Le groupe de conseil SRAS travaille actuel­le­ment sur une « centrale élec­trique numé­rique » qui aidera les agri­cul­teurs à surveiller leur utili­sa­tion de l’électricité. À l’avenir, l’outil pourra aussi aider les agri­cul­teurs produi­sant de l’électricité sur leur exploi­ta­tion à vendre leur surplus à des prix plus élevés.