Tout est calme et douillet dans l’étable d’Ignatz Heeremann. La température et l’humidité, dans ce bâtiment de conception ouverte, ont été optimisées. Au-dessus des caillebotis, un capteur contrôle en permanence les niveaux de méthane et d’ammoniaque. Le robot repousse-fourrage fait sa ronde en silence, redistribuant l’ensilage d’herbe vers les cornadis. La teneur en protéines de ce dernier, son pH et d’autres paramètres alimentaires ont été mesurés par capteurs photoélectriques directement au niveau du silo couloir.
Au total, huit robots de traite – alimentés par des énergies renouvelables -, sont en action. Le lait coule à flots, les données aussi. Dans les bureaux, deux employés surveillent en permanence, sur plusieurs écrans, la production du troupeau de 400 têtes. La santé des animaux est, elle aussi, contrôlée individuellement : température corporelle, poids, valeurs hématologiques et hormonales, acides gras de la panse… Ce ne sont que quelques-unes des informations transmises à la base de données.
Le futur de l’élevage ?
Est-ce là l’avenir de l’élevage bovin laitier ? Difficile à dire, mais le développement de la technologie pointe en tout cas dans cette direction. Et il se fait à toute allure. Aujourd’hui déjà, la situation décrite dans cette ferme – fictive – est, au moins en partie, réalité pour beaucoup d’exploitations. En Allemagne comme ailleurs, la question de la numérisation de l’élevage ne se pose plus vraiment. Il s’agit plutôt de savoir comment et à quel rythme elle s’imposera.
Une enquête publiée au printemps 2020, réalisée par le Deutscher Bauernverband (première organisation agricole allemande), met en lumière le degré actuel de numérisation de l’agriculture outre-Rhin. Sur les 500 agriculteurs interrogés, l’étude révèle que plus de huit exploitations sur dix mettent déjà en œuvre des technologies numériques, tandis que 10 % prévoient d’en adopter à l’avenir.
81 %
estiment que la numérisation améliore leur productivité
81 % des agriculteurs confirment que cette numérisation améliore leur productivité. 79 % citent comme autre avantage essentiel la réduction de la pénibilité, et plus d’un interrogé sur deux (57 %) souligne en outre un meilleur équilibre entre vie professionnelle et privée. Selon la majorité des sondés, la numérisation profite enfin à l’environnement et aux animaux : 93 % d’entre eux sont convaincus que les technologies numériques amènent des économies d’engrais, de phytosanitaires et d’autres intrants. Elles contribuent à verdir la production ; au champ, on enverra sarcler un robot, plutôt que de sortir le pulvérisateur. Ce sont 7 agriculteurs sur 10 qui soulignent que la digitalisation rendra, en principe, l’agriculture plus durable.
40 %
sur leur smartphone ou leur tablette
Tandis que le guidage de précision progresse sur les parcelles, les étables sont de plus en plus gérées via l’outil numérique. En Allemagne, chez presque un éleveur sur deux, des systèmes d’alimentation intelligents sont déjà utilisés. 40 % utilisent des applications de gestion sur leur smartphone ou leur tablette.
Bien-être animal
Des technologies qui ont aussi des répercussions sur le travail des professionnels de la santé animale. « Ces évolutions sont dans l’air du temps, et elles sont là pour durer », commente Siegfried Moder, président de l’Association allemande des vétérinaires (9 000 praticiens). « Il ne s’agit pas de tout accepter en bloc : la numérisation en elle-même n’est pas encore un avantage pour l’élevage. Mais l’analyse des données glanées par les capteurs et les caméras est une manne du point de vue de la prévention des maladies. »
Quand Siegfried Moder arrive sur une exploitation, c’est avec son ordinateur portable sous le bras. « L’important, ce ne sont pas les données elles-mêmes, mais ce qu’on en fait. En mesurant la température de la tétine du distributeur automatique de lait, vous pouvez détecter si vos veaux sont en bonne santé ou sur le point de tomber malades. Les boucles de marquage intelligentes permettent une localisation rapide des animaux, et peuvent renseigner sur les chaleurs ou la présence de mammites. »
Ces nouvelles approches de la surveillance individuelle des animaux dans un grand troupeau, poursuit Moder, offrent « des options et une qualité nouvelle » de prise en charge des bêtes et de diagnostic. À condition que le propriétaire des données partage celles-ci sans réserve avec le vétérinaire.
La « télémédecine » pourrait contribuer à rapprocher davantage les vétérinaires et les agriculteurs dans l’intérêt de la santé animale. « Ce qui importe, c’est la productivité sur toute la carrière, et donc l’espérance de vie des vaches, qui malheureusement ne supportent en moyenne pas plus de trois lactations [en Allemagne]. » Selon lui, il est donc nécessaire de ne pas chercher la performance avant tout.
Pour mieux comprendre les besoins des animaux, le Centre de formation agricole (LBZ) d’Echem a concu des « lunettes de vache » qui opèrent un changement radical de perspective. Le porteur de cet objet futuriste voit le monde du point de vue d’un bovin : bicolore, très contrasté, avec un champ de vision de 330 degrés, dont seul un segment relativement mince est net, et un ajustement visuel beaucoup plus lent que celui de l’humain.
Un logiciel sophistiqué permet la simulation optique de ces éléments. « Quiconque regarde à travers ces lunettes acquiert une meilleure compréhension de la vache et développe une nouvelle empathie pour l’animal », assure le chef de projet Benito Weise. L’appareil est utilisé lors la formation de futurs éleveurs dans la région de Basse Saxe, mais également de techniciens, comme des pareurs d’onglons.
En regardant à travers ces lunettes, on développe une nouvelle empathie pour l’animal.
Benito Weise
Il ajoute que l’atmosphère acoustique de l’étable joue un rôle aussi essentiel dans le bien-être animal que la perception visuelle. C’est pourquoi le centre s’est attelé au développement d’une « oreille de vache » : « Certaines fréquences qui ne sont pas perceptibles pour l’être humain peuvent être très dérangeantes pour les vaches. »
Gestion numérique du troupeau
Reinhold Koch, formateur et responsable du troupeau des 150 laitières du LBZ, est lui aussi en recherche d’innovations techniques. Le robot « Smart Dairy », par exemple, est désormais un auxiliaire important dans son travail quotidien – petit plus, le robot « n’est jamais de mauvaise humeur », commente Koch. Assis devant une série d’écrans, le formateur explique comment interagissent les programmes de reproduction et d’alimentation.
« Lorsqu’un capteur sur le collier détecte une mastication en baisse, nous sommes rapidement informés et nous pouvons traiter le problème. » Génomique numérisée, conductivité électrique du lait, mesure des corps cétoniques… les champs d’application sont variés. Ces techniques fournissent une multitude de données qui autrefois n’auraient pas été aussi rapidement disponibles pour les producteurs.
« Les données sont importantes, mais elles ne font pas tout », nuance Reinhold Koch. « Elles ne peuvent pas remplacer l’œil avisé d’un éleveur. » Son apprentie Kristina Dralle, qui envisage de reprendre la ferme laitière de ses parents dans d’ici quelques années, ne contredit pas son chef à cette occasion : « On a tout simplement besoin de la numérisation. »