Agriculture de précision« L’objectif est le trai­te­ment à la plante »

Lors d’une inter­ven­tion durant la confé­rence Digital farming de Berlin en mai dernier, Stefan Stahl­mecke, direc­teur régional du groupe « solu­tions intel­li­gentes » chez John Deere, reve­nait sur le rôle essen­tiel de la numé­ri­sa­tion en agri­cul­ture, et sa contri­bu­tion au verdis­se­ment du secteur. Le Sillon l’a rencontré pour en discuter.

À quels défis est confrontée l’agriculture mondiale ?

D’abord à celui de la crois­sance démo­gra­phique : 10 milliards d’êtres humains d’ici 2050, c’est une hausse de 50 % de la demande en denrées alimen­taires. Ce qui revient à augmenter de 70 % les volumes en produc­tions végé­tales, en prenant en compte la hausse des produc­tions animales. Et ce avec une SAU inchangée, voire en baisse. Rien qu’en Alle­magne, l’agriculture perd chaque jour l’équivalent de 73 stades de foot.

Stefan Stahl­mecke, direc­teur régional du groupe « solu­tions intel­li­gentes » chez John Deere

Ce coup d’accélérateur de la produc­tion devra en outre se faire avec moins de main-d’œuvre, consé­quence du manque de personnel qualifié, qui touche aussi de nombreux autres secteurs. De ce point de vue, l’agriculture n’est pas une excep­tion.

Qu’est-ce que cela signifie pour les agri­cul­teurs et agri­cul­trices aujourd’hui ?

Alors que les exploi­ta­tions s’agrandissent, c’est le bon trai­te­ment de chaque plante indi­vi­duelle qui va devenir impor­tant : pour qu’elle dispose de la juste dose d’éléments ferti­li­sant, puisse se défendre contre les insectes et mala­dies fongiques, et bien sûr pour qu’elle se laisse bien récolter.

Mais c’est aussi une course contre la montre. En semis, l’agriculteur dispose d’une fenêtre d’environ 10 jours. S’il la rate, le rende­ment en fait les frais. Pendant la phase de végé­ta­tion, les adven­tices peuvent gagner jusqu’à 10 cm par jour. L’agriculteur a donc une  marge de manoeuvre réduite pour épandre des produits avant que les mauvaises herbes ne s’approprient les nutri­ments de la culture.

60 à 70 % des coûts vont aux semences, à l’engrais et aux produits phyto­sa­ni­taires, et l’agriculteur doit prendre des milliers de déci­sions chaque campagne. Comment dans ce contexte améliorer la qualité nutri­tion­nelle des produc­tions tout en réali­sant des écono­mies d’engrais et de produits de protec­tion des plantes ?

La modu­la­tion de dose a déjà pris pied dans de nombreuses exploi­ta­tions.

La réponse : plus de préci­sion grâce à la numé­ri­sa­tion. Le but de l’agriculture moderne, l’agriculture 4.0, est d’aborder les besoins de chaque plante de manière indi­vi­duelle. Dans les champs, la réalité est encore diffé­rente. Ils sont souvent consi­dérés comme des unités homo­gènes et sont donc semés, ferti­lisés, pulvé­risés et récoltés de manière uniforme. Mais notre indus­trie travaille d’arrache-pied à passer à l’étape suivante.

Quel sera le prochain pas vers l’agriculture 4.0 ?

La modu­la­tion des doses se déve­loppe déjà afin de mieux répondre aux besoins des plantes. Mais on est encore bien loin de la plante indi­vi­duelle. L’image ci-dessus un épan­dage d’engrais minéral en direct, assisté par capteur. La caméra multis­pec­trale mesure le taux de chlo­ro­phylle et calcule la biomasse. Plus de biomasse signifie plus de ferti­li­sants absorbés : ces mesures permettent donc d’adapter la quan­tité d’engrais aux besoins des plantes d’une même zone.

Il est possible d’affiner davan­tage la quan­tité épandue encore, par exemple en utili­sant les précé­dentes cartes de biomasse, établies par satel­lite, pour comparer le poten­tiel histo­rique et la situa­tion réelle, puis établir la quan­tité d’engrais opti­male pour la zone concernée.

La tech­no­logie NIR permet d’épandre du lisier presque aussi préci­sé­ment que de l’engrais minéral.

Et dans le cas des engrais orga­niques ?

C’est un autre exemple de ferti­li­sa­tion modulée. L’épandeur d’engrais minéral est remplacé par un épan­deur de lisier avec tech­no­logie proche infra­rouge. La tech­no­logie NIR permet de mesurer les composés tels que l’azote, le phos­phore et le dioxyde de carbone. Il est dès lors possible d’utiliser des effluents d’élevage de manière aussi exacte et ciblée que l’engrais minéral.

Autre avan­tage : chaque kilo d’engrais minéral remplacé par des effluents d’élevage aide à limiter le CO2 émis lors de la fabri­ca­tion d’engrais miné­raux.

Avec ces tech­no­lo­gies de pointe, le désher­bage méca­nique a-t-il encore de l’avenir ?

Oui, il est déjà possible de travailler sur des rangs indi­vi­duels. Autre possi­bi­lité : désherber entre les rangs de manière précise à l’aide d’une bineuse avec caméra et vérins à double effet sur la barre de trac­tion du trac­teur. Ce système permet de rouler rapi­de­ment entre les rangs et ainsi d’égaler les niveaux de produc­ti­vité de la pulvé­ri­sa­tion. Le binage du sol a cepen­dant comme incon­vé­nient de libérer du CO2, au détri­ment de l’environnement. Comme on peut le constater, en agri­cul­ture, il n’est pas simple de trouver la solu­tion parfaite.

Grâce à des bineuses assis­tées par capteurs, il est possible d’atteindre une vitesse de travail élevée et ainsi une haute produc­ti­vité de surface.

Aujourd’hui, la gestion homo­gène (sans modu­la­tion) des champs reste encore majo­ri­taire.

A quelles révo­lu­tions tech­no­lo­giques s’attendre à plus long terme ?

Encore une fois, le but ultime est de traiter chaque plante indi­vi­duel­le­ment. Aujourd’hui, cette démarche reste encore très rare, bien qu’elle recèle le plus fort poten­tiel de réduc­tion de la quan­tité d’engrais et de pesti­cides utilisés.

Dans notre exemple de pulvé­ri­sa­teur auto­mo­teur, 36 caméras enre­gistrent des images de chaque plante indi­vi­duelle et distinguent les mauvaises herbes des plantes utiles grâce à un « réseau neuronal », qui s’est entraîné sur des millions d’images. Consé­quence : les buses pulvé­risent la mauvaise herbe et non la plante utile. Un tel système permettra d’économiser jusqu’à 90 % d’herbicides.

À l’avenir, quelle inter­ac­tion avec les machines ?

Il existe déjà des trac­teurs entiè­re­ment auto­ma­tisés, équipé de six caméras stéréo qui iden­ti­fient l’environnement et peuvent ainsi travailler dans le champ en auto­nomie. Ces machines sont munies d’un grand nombre de tech­no­lo­gies et de capteurs, ce qui leur permet de prendre elles-mêmes de nombreuses déci­sions. C’est pour­quoi la confiance est cruciale, et notre indus­trie doit prouver qu’elle la mérite, ce qui bien sûr ne peut pas se faire en un jour, mais c’est la condi­tion essen­tielle pour ce type de systèmes.

Cela ne veut pas dire que l’agriculteur n’aura bientôt plus rien à faire. Mais il pourra se consa­crer à d’autres acti­vités. Et il sera encore plus sûr de lui lors de la prise de déci­sion.