À quels défis est confrontée l’agriculture mondiale ?
D’abord à celui de la croissance démographique : 10 milliards d’êtres humains d’ici 2050, c’est une hausse de 50 % de la demande en denrées alimentaires. Ce qui revient à augmenter de 70 % les volumes en productions végétales, en prenant en compte la hausse des productions animales. Et ce avec une SAU inchangée, voire en baisse. Rien qu’en Allemagne, l’agriculture perd chaque jour l’équivalent de 73 stades de foot.
Ce coup d’accélérateur de la production devra en outre se faire avec moins de main-d’œuvre, conséquence du manque de personnel qualifié, qui touche aussi de nombreux autres secteurs. De ce point de vue, l’agriculture n’est pas une exception.
Qu’est-ce que cela signifie pour les agriculteurs et agricultrices aujourd’hui ?
Alors que les exploitations s’agrandissent, c’est le bon traitement de chaque plante individuelle qui va devenir important : pour qu’elle dispose de la juste dose d’éléments fertilisant, puisse se défendre contre les insectes et maladies fongiques, et bien sûr pour qu’elle se laisse bien récolter.
Mais c’est aussi une course contre la montre. En semis, l’agriculteur dispose d’une fenêtre d’environ 10 jours. S’il la rate, le rendement en fait les frais. Pendant la phase de végétation, les adventices peuvent gagner jusqu’à 10 cm par jour. L’agriculteur a donc une marge de manoeuvre réduite pour épandre des produits avant que les mauvaises herbes ne s’approprient les nutriments de la culture.
60 à 70 % des coûts vont aux semences, à l’engrais et aux produits phytosanitaires, et l’agriculteur doit prendre des milliers de décisions chaque campagne. Comment dans ce contexte améliorer la qualité nutritionnelle des productions tout en réalisant des économies d’engrais et de produits de protection des plantes ?
La réponse : plus de précision grâce à la numérisation. Le but de l’agriculture moderne, l’agriculture 4.0, est d’aborder les besoins de chaque plante de manière individuelle. Dans les champs, la réalité est encore différente. Ils sont souvent considérés comme des unités homogènes et sont donc semés, fertilisés, pulvérisés et récoltés de manière uniforme. Mais notre industrie travaille d’arrache-pied à passer à l’étape suivante.
Quel sera le prochain pas vers l’agriculture 4.0 ?
La modulation des doses se développe déjà afin de mieux répondre aux besoins des plantes. Mais on est encore bien loin de la plante individuelle. L’image ci-dessus un épandage d’engrais minéral en direct, assisté par capteur. La caméra multispectrale mesure le taux de chlorophylle et calcule la biomasse. Plus de biomasse signifie plus de fertilisants absorbés : ces mesures permettent donc d’adapter la quantité d’engrais aux besoins des plantes d’une même zone.
Il est possible d’affiner davantage la quantité épandue encore, par exemple en utilisant les précédentes cartes de biomasse, établies par satellite, pour comparer le potentiel historique et la situation réelle, puis établir la quantité d’engrais optimale pour la zone concernée.
Et dans le cas des engrais organiques ?
C’est un autre exemple de fertilisation modulée. L’épandeur d’engrais minéral est remplacé par un épandeur de lisier avec technologie proche infrarouge. La technologie NIR permet de mesurer les composés tels que l’azote, le phosphore et le dioxyde de carbone. Il est dès lors possible d’utiliser des effluents d’élevage de manière aussi exacte et ciblée que l’engrais minéral.
Autre avantage : chaque kilo d’engrais minéral remplacé par des effluents d’élevage aide à limiter le CO2 émis lors de la fabrication d’engrais minéraux.
Avec ces technologies de pointe, le désherbage mécanique a-t-il encore de l’avenir ?
Oui, il est déjà possible de travailler sur des rangs individuels. Autre possibilité : désherber entre les rangs de manière précise à l’aide d’une bineuse avec caméra et vérins à double effet sur la barre de traction du tracteur. Ce système permet de rouler rapidement entre les rangs et ainsi d’égaler les niveaux de productivité de la pulvérisation. Le binage du sol a cependant comme inconvénient de libérer du CO2, au détriment de l’environnement. Comme on peut le constater, en agriculture, il n’est pas simple de trouver la solution parfaite.
A quelles révolutions technologiques s’attendre à plus long terme ?
Encore une fois, le but ultime est de traiter chaque plante individuellement. Aujourd’hui, cette démarche reste encore très rare, bien qu’elle recèle le plus fort potentiel de réduction de la quantité d’engrais et de pesticides utilisés.
Dans notre exemple de pulvérisateur automoteur, 36 caméras enregistrent des images de chaque plante individuelle et distinguent les mauvaises herbes des plantes utiles grâce à un « réseau neuronal », qui s’est entraîné sur des millions d’images. Conséquence : les buses pulvérisent la mauvaise herbe et non la plante utile. Un tel système permettra d’économiser jusqu’à 90 % d’herbicides.
À l’avenir, quelle interaction avec les machines ?
Il existe déjà des tracteurs entièrement automatisés, équipé de six caméras stéréo qui identifient l’environnement et peuvent ainsi travailler dans le champ en autonomie. Ces machines sont munies d’un grand nombre de technologies et de capteurs, ce qui leur permet de prendre elles-mêmes de nombreuses décisions. C’est pourquoi la confiance est cruciale, et notre industrie doit prouver qu’elle la mérite, ce qui bien sûr ne peut pas se faire en un jour, mais c’est la condition essentielle pour ce type de systèmes.
Cela ne veut pas dire que l’agriculteur n’aura bientôt plus rien à faire. Mais il pourra se consacrer à d’autres activités. Et il sera encore plus sûr de lui lors de la prise de décision.