Il a grandi dans une exploitation de grandes cultures du sud-ouest des Pays-Bas, où l’assolement se répartissait principalement entre le blé, les betteraves sucrières et les pommes de terre. Son diplôme d’ingénieur agronome de l’université de Wageningen en poche, Jørgen Audenaert a commencé sa carrière dans le service de développement de produits du fabricant de pulvérisateurs Douven, à Horst. Il est rapidement passé chef de projets. « Les pulvérisateurs m’intéressent. C’est un domaine dans lequel je me suis tout de suite beaucoup impliqué. » Lorsque John Deere a racheté l’usine de Horst en 1997, Audenaert s’est retrouvé en charge du développement et du lancement européen d’une toute nouvelle gamme de pulvérisateurs, la série 800.

Les pulvérisateurs trainés de la série 800 sont arrivés sur le marché en 2000. Ils représentaient à l’époque une conception totalement nouvelle.
Quelques années plus tard, il part pour le siège européen de John Deere, à Mannheim, en Allemagne. « J’ai travaillé sur le segment grandes cultures et ETA. Suite à une restructuration, j’ai été amené à me concentrer sur le segment céréales. » S’il a donc plusieurs fois changé de fonctions, la technologie de pulvérisation est restée le mot-clé tout au long de sa carrière. « Ma mission m’amène à beaucoup voyager. Je fais des allers-retours entre les Pays-Bas différentes usines en Allemagne, et je rends régulièrement visite aux collègues des États-Unis. »
Différents pays, différentes tendances

Jørgen Audenaert travaille depuis près de 25 ans sur les technologies de pulvérisation.
Au début des années 1990, les pulvérisateurs étaient des machines très différentes, se souvient Audenaert. « L’objectif principal était d’augmenter le débit de chantier. » Les agriculteurs passaient alors des pulvérisateurs portés aux pulvérisateurs trainés.
« L’augmentation du volume de travail reste un objectif important, mais les tendances en matière de technologie de pulvérisation sont étonnamment différentes d’un pays à l’autre. »
« Aux Pays-Bas, par exemple, on peut voir beaucoup de rampes de pulvérisation extra larges, tandis que l’Allemagne s’intéresse davantage aux cuves à grosse capacité. La France mène en termes de vitesse d’avancement. Quant au Royaume-Uni, une grande partie des traitements se font à bas volumes. Tous les pays ont en commun un intérêt pour des processus plus automatisés, notamment le remplissage et le nettoyage du pulvérisateur, ainsi que l’augmentation de la précision de pulvérisation, avec une réduction de l’impact environnemental. »
« La technologie GPS a sans doute été l’une des avancées les plus importantes»
Jørgen Audenaert a été témoin d’un développement rapide de l’automatisation en seulement quelques années : guidage, coupure de tronçon, systèmes de remplissage précis, systèmes de nettoyage et de rinçage automatiques, réglage automatique de la hauteur de la rampe et du contrôle de stabilité… La plupart de ces caractéristiques sont désormais des spécifications standard sur les pulvérisateurs.
« La plus grande percée a probablement été l’introduction de la technologie GPS. Elle permet, entre autres, de varier les doses à l’échelle de la parcelle. Les sections de rampe peuvent être activées et désactivées automatiquement et les buses contrôlées individuellement », explique-t-il. « Nous entrons maintenant dans une phase de développement au cours de laquelle la protection des cultures se fait de plus en plus sélective et ciblée. L’accent est mis sur l’optimisation de la répartition et du dosage pour répondre aux besoins de la culture dans une zone du champ. »
La réglementation impose l’innovation
Cette tendance, selon Jørgen Audenaert, a différentes causes. « La société est en attente de plus de durabilité et les exigences légales concernant l’utilisation des phytosanitaires se renforcent. Les agriculteurs, quant à eux, souhaitent pouvoir appliquer moins de produit afin de réduire leurs coûts. Dans le même temps, le potentiel de rendement peut encore être augmenté grâce à une moindre interférence avec croissance des cultures et à un contrôle plus fin et plus efficace. »
L’objectif technologique est passé d’une optimisation du débit de chantier à une pulvérisation plus sélective, ou modulée. Dans ce context, Jørgen Audenaert souhaiteraient des autorités réglementaires qu’elles agissent avec circonspection : « Les intérêts des agriculteurs ne doivent pas être négligés, notamment en ce qui concerne la réduction de la dérive, la répartition optimale de la bouillie et l’efficacité des produits. À mon sens, ces intérêts ne sont pas toujours pris en compte comme il devraient l’être. »
Dernières évolutions
Aujourd’hui, les buses à modulation de largeur d’impulsion sont à la pointe de la technologie : dans certains cas, elles sont même capables moduler à l’échelle de la plante elle-même. Partant de là, est-il encore possible de gagner en précision ? Audenaert laisse entendre : « Bien sûr, je ne peux pas dévoiler les projets de John Deere. Cependant nous avons énormément progressé avec la technologie des buses à pulsations haute fréquence ExactApply ». Pour la première fois, il est possible de contrôler deux paramètres indépendamment l’une de l’autre : le débit et la taille des gouttelettes, explique-t-il. « Avec des vitesses différentes, vous pouvez pulvériser la même quantité sans changer la taille des gouttelettes. » Un grand pas en avant, et une bonne nouvelle pour les agriculteurs, « car cela permet des variations de dose précises sur une grande largeur de travail, en fonction des besoins dans différentes zones de la parcelle. »
Quels futurs progrès garder à l’œil ? « Je pense que l’avenir de la technologie dépend tout particulièrement sur des développements liés à la collecte des données et aux capteurs, pour permettre de mesurer encore plus précisément quel traitement appliquer à quelle plante dans un champ. Savoir détecter et distinguer les mauvaises herbes permettra des économies importantes sur les charges de produits phytosanitaires », explique-t-il. « Sur le long terme, on peut imaginer que la technologie évoluera suffisamment pour identifier les maladies à un stade très précoce. L’observation et la prédiction de la croissance des cultures deviendront plus précises, ce qui ouvrira de nouvelles possibilités. »
Les algorithmes sont décisifs
Selon Jørgen Audenaert, l’avenir de la pulvérisation dépendra largement des réglementations, en particulier pour les machines sans pilote contrôlées par des algorithmes. « Jusqu’à quel point peut-on envoyer au champ une machine sans pilote ? Est-il préférable quelqu’un soit assis dans la cabine ? Ce sont des questions que les législateurs devront trancher. »
Les modèles de calcul doivent aussi apprendre à déterminer où pulvériser quel produit. « Il est essentiel de développer de bons algorithmes de décision qui peuvent, par exemple, traduire une carte de biomasse en bonne dose de produit phytosanitaire. » Avec des algorithmes solides, les autorités pourraient approuver une gamme plus large de substances actives, à utiliser avec une technologie de pulvérisation de précision adaptée. « Un produit comme le Reglone, par exemple, est aujourd’hui interdit pour le défanage des pommes de terre. Mais si vous pulvérisez en vous basant sur des cartes de biomasse, vous n’avez besoin que de 40 à 50 % de ce que vous utiliseriez habituellement. En se basant sur cet argument, ce produit pourrait encore être disponible. »
Considérant les restrictions croissantes qui touchent les substances actives, une question assez radicale se pose : les pulvérisateurs ont-ils encore de l’avenir ? « Les gens croient souvent que si l’on utilise moins de produits, le nombre de pulvérisations va baisser. En réalité, je pense que c’est le contraire : si vous voulez mettre en œuvre une protection efficace des cultures en utilisant moins de produits, vous devez pulvériser plus souvent, en plus petites quantités. Actuellement, les règles encadrant l’utilisation des phytosanitaires se basent sur le principe que le champ entier est traité avec la même dose. C’est oublier les nouvelles technologies de modulation. Donc, l’autorisation des produits phytosanitaires devrait davantage prendre en compte les progrès de la technologie. »
Déploiement de drones
« Il est également important de savoir si les avantages qu’apportent cette technologie sont suffisamment intéressants par rapport aux autres options », déclare M. Audenaert. « Si les agriculteurs utilisaient des drones pour pulvériser les produits de façon ciblée, ils pourraient le faire dans des conditions de sol humide. D’un autre côté, nos automotrices peuvent maintenant pulvériser plus de 50 ha par heure. Si vous voulez un tel débit de chantier avec des drones, il faut en utiliser beaucoup ! »

John Deere s’engage pour une production durable, avec une utilisation encore plus efficace des phytosanitaires.
Garder un prix abordable
Selon Jørgen Audenaert, « l’objectif technologique final » de la pulvérisation est de faire en sorte que chaque plante soit intégrée à la cartographie et bénéficie d’une protection adaptée à ses besoins individuels. « Comme pour tout nouveau concept, les gens sont souvent sceptiques au départ et disent que le jeu n’en vaut pas la chandelle, ou que l’idée n’ira pas loin. C’était le cas lorsque le guidage ou le contrôle individuel des buses ont été lancés. Et puis, quelques temps après, l’évolution des pratiques a tout de même lieu. »
La question, néanmoins, se pose : ces outils futuristes capable de cibler les plantes individuellement sont-elles vraiment finançables à l’échelle des exploitations ? Audenaert pèse bien ses mots avant de répondre. « Bien sûr, il faut que ces technologies amènent des économies ailleurs pour le client, sinon l’idée n’aura pas d’avenir. Certaines innovations, qui ne s’imposent pas au début, commencent à devenir intéressante quand on les associe à d’autres technologies ou à de nouvelles machines. Les ETA jouent aussi un rôle essentiel. Ils peuvent investir et ainsi répartir le coûts de l’innovation sur un groupe plus large de clients. »
Une adoption plus rapide que prévu
Quoi qu’il en soit, l’adoption de la technologie de pulvérisation de précision est beaucoup plus rapide que prévu, estime Audenaert. « Les agriculteurs ne sont pas encor habitués moduler et à travailler avec des cartes de préconisations. Dans le passé, la connectivité des systèmes était un frein, mais la compatibilité s’améliore chaque année. À partir du moment où la technologie permettra d’identifier les mauvaises herbes et de les cibler, je m’attends à ce qu’elle rencontre un vrai succès ».
Le plus gros obstacle ? L’incertitude concernant la réglementation phytosanitaire, selon lui. « Les agriculteurs ne savent pas où cela va mener, et ils ne peuvent donc pas se préparer l’avenir. »
Un défi pour John Deere
Le défi principal pour John Deere, dans les années à venir, est le même que pour l’ensemble du secteur agricole. « Nous devrons produire beaucoup plus d’aliments sans augmentation des surfaces, mais aussi le faire de manière plus durable. Il faudra gagner en rendements grâce à une utilisation plus efficace des engrais, des produits phytosanitaires et de l’eau. »
Source : Geert Hekkert