Début 2022, Mathis Block, éleveur laitier à Osterrade en Allemagne, lançait la construction de sa propre unité de production de biochar. Un investissement d’un million d’euros. « Si je ne le fais pas maintenant, quand ? », remarque le jeune agriculteur. Avec son frère Steffen, il avait d’abord songé à se lancer dans la méthanisation. Mais ils ont finalement décidé d’essayer quelque chose de neuf.
Comme c’est souvent le cas avec les nouveautés, beaucoup de questions restent ouvertes : d’où provient la biomasse à transformer ? Qui la récupère ? Comment utiliser soi-même le biochar sur les parcelles d’une exploitation ? Une chose est sure, reconnaît Mathis Block : l’évolution du prix du CO2 déterminera la rentabilité du projet.
Nous envisageons d’alimenter l’unité de production de biochar avec des plaquettes forestières locales.
Mathis Block
Suite aux accords de Paris et à ceux de l’Union européenne pour la décarbonation totale de l’économie d’ici 2050, la vente de certificats se dessine comme une source de revenus additionnels pour les agriculteurs. Selon des données récentes, une tonne de biochar permettrait de capter 3,6 tonnes de dioxyde de carbone.
Des perspectives intéressantes
Les perspectives commerciales sont plutôt encourageantes pour les deux jeunes éleveurs. Le prix des certificats a doublé ces douze derniers mois. Rien d’étonnant – outre-Rhin, la pression sur l’utilisation d’énergie fossile s’est renforcée du fait d’une taxe carbone, d’objectifs ambitieux en termes de protection de l’environnement, et bien sûr des conflits mondiaux. Les indicateurs pointent actuellement vers une tendance haussière sur le marché des crédits.
Mais loin des lieux de décision politique ou de spéculation, c’est d’abord l’avenir de son exploitation qui intéresse Mathis Bock. Le producteur laitier utilise déjà le biochar à petites doses dans comme complément alimentaire chez ses 300 vaches, et projette à terme de l’épandre comme amendement sur ses parcelles d’herbe et de maïs.
La première étape sera d’alimenter l’installation de carbonisation avec de sous-produits ligneux de la région, pour le moment expédiés au Danemark. « Nous souhaitons valoriser le local », souligne l’éleveur, qui s’imagine très bien la généralisation d’un tel système à très grande échelle. Une production de biochar décentralisée dans chaque village ?
Reste à savoir si un tel système serait judicieux. Certains en doutent, parmi eux Thomas Hellmann, gérant de Effektive Mikroorganismen Westküste. « En agriculture nous sommes partiellement sortis des cycles naturels. Il n’existe donc plus de procédés totalement ‘sains’ », estime Hellmann. L’entreprise conseille les éleveurs de bovins, de porcs et les producteurs de biogaz, l’accent étant mis sur la biologie. Sa devise : raviver les processus naturels chez les animaux, les plantes et les sols.
Pour cela il utilise plusieurs souches de micro-organismes, des poudres minérales, et du biochar. « Pour moi le biochar est un outil parmi d’autres », résume-t-il. « Il possède certaines propriétés qui déclenchent parfois de bonnes réactions. » Mais le consultant souhaite garder un recul critique. Par exemple, il n’est pas sûr que ce charbon végétal puisse sauver ces parcelles « où la biologie du sol souffre depuis longtemps du fait de méthodes culturales inappropriées. »
En agriculture nous sommes partiellement sortis des cycles naturels.
Thomas Hellmann
Reste que le « Carbon farming » a le vent en poupe. Si le terme désigne d’abord la formation d’humus durable, la production de biochar rentre aussi dans cette catégorie. En Allemagne et dans le monde, des réseaux et initiatives se développe autour du concept d’agriculture régénératrice. Dans ces réseaux, les propriétés du biochar sont déjà mise en avant depuis des années, en particulier sa très grande capacité de liaison des nutriments et de rétention d’eau.
L’économie de la terre
Ici, l’exploitation allemande Hengstbacherhof fait depuis des années office de pionnière. Elle a développé sa propre Terra Preta, un mélange de terreau fertile à base, entre autres, de biochar et de compost. Mais elle s’est heurtée à « l’économie de la terre » : « Plus la Terra Preta est populaire, plus le prix du biochar augmente. 10 à 15 % en volume de biochar sont nécessaire à la produire. Avant, un biochar de bonne qualité coutait 250 €/t, ce prix s’élève aujourd’hui à 500 voire 1 000 € », admettait dernièrement Joachim Böttcher, de Hengstbacherhof, dans une interview. « Bien trop cher. »
Ces dernières décennies, il y a eu d’ailleurs pas mal de ratés du côté des start-ups de ce nouveau marché, alors même que sur le terrain médiatique, les effets bénéfiques de la Terra Preta, cette « terre noire magique » originaire de l’Amazonie, continuaient d’être diffusés. Et que les qualités du biochar, ou le bilan énergétique des techniques de pyrolyse, ne font pas l’unanimité.
Du côté des difficultés techniques, celles-ci, en tout cas, semblent être surmontées. « La technologie s’est développée », assure Kai Alberding, directeur de Carbo-Force, un des rares fabricants d’installations de carbonisation en Allemagne. L’entreprise a implanté sa première installation en été 2021. Elle y valorise des copeaux de bois, livrés par un entrepreneur de la région et transformés en fine poussière de charbon, qui est ensuite conditionnée en big bags.
La demande est supérieure à l’offre, estimée à environ 750 tonnes. Environ 2 400 tonnes de matière sèche de bois sont nécessaires pour produire cette quantité de biochar. L’installation de carbonisation tient dans un container de 12 mètres, qui n’a rien impressionnant à première vue. Mais lorsque l’on jette un œil à l’intérieur, on peut vite apercevoir à quelle point la transformazion de biomasse fraîche en biochar peut être complexe.
En nous basant sur la pyrolyse traditionnelle, nous avons mis au point une nouvelle procédure.
Malte Graf
Les températures lors du procédé tournent autour de 750-800 degrés Celsius. « Nous cumulons plus de 15 ans d’expérience dans le développement de procédés de carbonisation innovants. En nous basant sur la pyrolyse traditionnelle, nous avons mis au point une nouvelle procédure avec oxydation partielle, que nous avons continuellement optimisée pour une utilisation pratique », explique le co-directeur de l’entreprise, Malte Graf. « Alors que la pyrolyse traditionnelle, avec réchauffement indirect via des échangeurs de chaleur, consomme d’énormes quantités d’énergie, notre technologie permet de produire de l’énergie supplémentaire à partir des résidus. »
Pour une puissance de processus d’un mégawatt et un besoin électrique étonnamment faible d’environ 8 kW de puissance, 450 kW peuvent être produits par récupération de chaleur. Compte tenu de l’augmentation des coûts de l’énergie, il s’agit là d’une piste d’optimisation importante. Mais le plus gros de la marge provient de loin de la vente de charbon végétal. « Les clients se l’arrachent », dépeint Malte Graf.
Comprendre les limitations
Mais tandis que, face à l’engouement pour les crédits carbone, certains négociants se frottent les mains, tous les agronomes et agriculteurs ne sont pas convaincus. Plusieurs alertent même du caractère contreproductif de certains procédés : des quantités importantes de biochar peuvent impacter les niveaux de saturation des sols, ce qui entraine notamment un lessivage de l’azote. Dans un courrier des lecteurs adressé à un journal agricole allemand, Volker Bosse, producteur Nienburg, calculait récemment que pour un rapport C/N de 12/1, un gain annuel de 0,1 de MO requiert trop d’azote, dans le contexte actuel, pour garantir la rentabilité du « Carbon Farming ».
L’avenir dira si ses calculs sont exacts. Il reste important de noter que le biochar ne constitue pas une panacée ; d’autant plus si la biomasse utilisée pour sa production contient des polluants. Car cet amendement n’est pas chimiquement stable pour toute éternité ; personne ne sait vraiment quand, mais la matière carbonisée peut de déstabiliser, et répandre des polluants dans l’environnement.
Si la prudence est de mise, cela ne remet pas en cause l’intérêt agronomique d’un « bon » charbon végétal. Au contraire, le sujet est au cœur d’une question mondiale : comment le sol de notre planète peut-il être cultivé durablement tout en respectant l’environnement ? Un problème complexe, où la réponse devra se décliner à l’échelle locale.
Christoph Thomsen, membre du comité directeur de l’association professionnelle du biochar fondée en 2017 et située à Leonberg, en Allemagne, le sait bien. Thomsen est également chef de projet pour Humusreich Schleswig-Holstein, une organisation qui informe les agriculteurs sur les avantages d’une hausse de la matière organique. « Bien qu’il existe de nombreuses recommandations sur des bonnes pratiques issues d’essais actuels tournant autour de la constitution d’humus (notamment en Autriche), cette approche ne peut pas être transposée telle quelle ailleurs, par exemple ici dans le nord de l’Allemagne », explique Thomsen, qui organise des ateliers d’information auprès des producteurs. « En revanche, on peut soutenir les agriculteurs qui souhaitent se lancer dans le développement du taux l’humus en fournissant des certificats de protection de l’environnement », encourage-t-il.
Le biochar
Il est généralement fabriqué à partir de résidus végétaux lors d’un processus anaérobie, à des températures comprises entre 380 °C et 1 000 °C. Utilisé à la fois comme amendement et comme substrat pour les éléments fertilisants, il peut aussi enrichir le compost, ou servir à fixer des éléments nutritifs du lisier. Lorsqu’il est épandu comme amendement, son potentiel de séquestration permet d’améliorer le bilan CO2 d’une exploitation. Mélangé avec d’autres ingrédients tels que les os, les arêtes de poisson, les déchets de biomasse et les matières fécales, le biochar est un des composants de la terra preta. Enfin, il peut également être utilisé comme additif alimentaire dans les rations.