Cette année, Eric Lothmann a pu économiser en moyenne 5 % sur ses engrais en colza, blé, orge et betteraves à sucre. Alors que nous le rencontrons, la saison des récoltes vient tout juste de débuter. Une chose est sûre, le rendement de l’orge n’en a pas souffert ; la qualité est même plus homogène qu’auparavant. L’agriculteur rhénan doit cette réussite non seulement à ses sols fertiles, mais aussi à la prise en compte de l’hétérogénéité intraparcellaire, pour la première fois cette année (2022).
Il ajuste désormais la fertilisation en suivant un découpage de zones établi par le logiciel Solorrow, à partir d’images satellites. La bonne fertilité et le caractère très homogène de ses 400 hectares de sols ne les destinaient pas a priori à la modulation. Malgré tout, le chef de l’exploitation souhaitait « parvenir à une fertilisation encore plus efficace grâce à la technologie ». Au vu des directives de plus en plus strictes, en Allemagne, en matière d’épandages, cet objectif est partagé par beaucoup de producteurs outre-Rhin. « Nous devons tirer le meilleur rendement avec ce que nous pouvons encore utiliser », résume Lothmann.
Je suis impressionné par ce qu’il est possible de faire.
Eric Lothmann
Plutôt que de se fier à son intuition pour déterminer la pertinence d’un nouvel apport d’azote, il s’appuie désormais sur les images satellites et sur le calcul des marges pour prendre des décisions rigoureuses. C’est d’autant plus important que le prix des intrants a augmenté de manière drastique au cours des derniers mois. Eric Lothmann a choisi une stratégie de compensation et cible les parcelles avec un potentiel de rendement plus faible, en réduisant les apports dans les zones à haut rendement. « Je suis impressionné par ce qu’il est possible de faire », constate l’agriculteur. « Voilà dix ans que nous faisons progresser la numérisation de l’exploitation. Aujourd’hui, les avantages sont clairs. »
Divers champs d’application
Non loin des côtes de la mer du Nord, en Basse-Saxe, l’entrepreneur Lars Lange poursuit un tout autre objectif : il exploite les données de Xarvio Field Manager de BASF pour des peuplements de maïs plus homogènes sur des parcelles à l’hétérogénéité marquée, grâce à la modulation des densités de semence. Son entreprise, Petra Lange, propose des prestations de service agricoles dans l’arrière-pays de Cuxhaven depuis plus de 30 ans, du semis à la récolte.
Il ne faut pas avoir peur de la technologie. Elle n’est pas toujours facile à exploiter, mais c’est aussi ce qui la rend intéressante.
Lars Lange
En 2020, deux de ses clients l’ont incité à se lancer dans cette technologie. Cette année-là, il a débuté sur 200 ha, avec l’aide de cartes de Xarvio. « Le défi que représentent ces nouvelles technologies m’a stimulé », se souvient Lange. Autre avantage pour ses clients : les données collectées leur permet une connaissance plus approfondie de leurs parcelles.
À côté du semis et de la fertilisation, les régulateurs de croissance, les fongicides d’autres produits de protection des plantes peuvent également être modulés. Sur ce dernier point, Aaron Borcherding, qui conseille les agriculteurs pour le concessionnaire de machines agricoles LVD Bernard Krone à Sülfeld (Schleswig-Holstein), se montre plus réservé.
La raison : les substances actives, dans la bouillie, remplissent différents objectifs. Or, lors d’un épandage de phytosanitaires à taux variables, il n’est pas possible de fixer différents taux d’application pour les produits présents dans le mélange. À noter cependant, Xarvio Field Manager de BASF tient également compte des rapports de mélange dans la cuve. D’après des essais réalisés par BASF sur du blé d’hiver (2019-2021), travailler avec des cartes de modulation permettrait d’économiser en moyenne 15 % de la quantité de fongicides et de régulateurs de croissance utilisée, et d’augmenter dans le même temps le chiffre d’affaires de 27 € par hectare.
La technologie ne remplace pas une personne physique
L’imagerie satellite possède une définition suffisante pour renseigner sur de développement de la biomasse d’une parcelle. Les logiciels comme Solorrow, MyDataPlant, ou Xarvio Field Manager recoupent l’historique des données de végétation sur plusieurs années et en déduisent le potentiel de rendement moyen du champ, indépendamment de la culture. Des variations ponctuelles, liées par exemple aux dégâts de gibier ou aux maladies fongiques, n’altèrent pas cette vue d’ensemble de façon significative.
C’est l’un des avantages par rapport aux capteurs embarqués, qui génèrent les données directement dans le champ et prédisent parfois un potentiel erroné du fait d’une maladie fongique localisée. Autre point fort du satellite : une couverture complète de la parcelle. Mais un inconvénient : en cas de ciel est couvert, il arrive parfois qu’aucune donnée ne soit disponible pendant plusieurs semaines. L’ombre des nuages peut aussi entraîner de fausses estimations du côté des algorithmes.
L’agriculteur établit finalement des cartes d’application variable à partir des cartes de potentiel de rendement. En plus du nombre de zones, il décide alors du dosage des semences, engrais, produits phytosanitaires et régulateurs de croissance. Ici, la technologie satellite ne remplace pas l’expérience de l’agriculteur. « On connaît toujours ses parcelles mieux que le système », souligne Lothmann.
Lars Lange, l’entrepreneur, définit avec ses clients la façon dont les informations recueillies seront valorisées. Par exemple, faut-il semer plus ou moins dans les zones dont le rendement est plus faible ? Selon la situation, les deux approches, optimisation et compensation, sont possibles. « En fin de compte, la technologie satellite offre simplement une base d’informations pour pouvoir mieux exploiter le potentiel », synthétise Lars Lange.
Des rendements plus homogènes
Une fois les cartes de modulation établies, Lars Lange et Eric Lothmann les contrôlent une dernière fois, puis les envoient directement au tracteur ou au JohnDeere Operations Center. Ils peuvent aussi transférer les données via une clé USB. La machine exécute elle-même les instructions pendant le passage et enregistre en parallèle les quantités appliquées, pour permettre ultérieurement un comparatif théorique-réel dans le logiciel. Si les paramètres de modulation sont bien calibrés, les intrants peuvent être utilisés de manière plus efficace, et les rendements homogénéisés.
Aaron Borcherding, spécialiste de l’agriculture de précision et des AMS et agriculteur à temps partiel, voit également « le très haut potentiel » de la technologie satellite. Il a étudié cette technologie en profondeur pour pouvoir conseiller ses clients sur la question. Borcherding recommande le logiciel MyDataPlant à ses clients du fait de la clarté de l’application web avec assistance téléphonique 24 heures sur 24, 7 jours sur 7 (en langue allemande).
Il faut être prêt à se pencher sur la technique.
Aaron Borcherding
L’intérêt est grand du côté des jeunes clients et des grandes exploitations. Malgré tout, ils sont relativement peu nombreux à se lancer. Ceux qui le font espèrent notamment mieux connaître leurs champs à l’aide de cette technologie, même pour de très grandes exploitations. Les économies d’intrants sont un autre objectif. Certains fournisseurs de logiciel promettent jusqu’à 10 % de rendement supplémentaire, avec une économie de 10 % sur les coûts. Aaron Borcherding relativise : « Je n’économise pas d’engrais, mais je le répartis plus efficacement. » Pour lui, l’objectif, dans un pays à hauts rendements comme l’Allemagne, n’est pas non plus d’augmenter ces derniers, mais plutôt de les stabiliser au fil des ans. Une planification plus sûre et une répartition plus efficace des coûts seraient les véritables avantages de la technologie satellite.
Reste que cette technologie ne doit pas être cataloguée exclusivement comme un outil destiné aux grandes exploitations agricoles. L’expérience d’Eric Lothmann prouve qu’elle peut également être rentable pour des entreprises familiales aux SAU plus modestes – même si cela rend son financement plus difficile. Depuis dix ans, Lothmann consolide petit à petit le niveau technologique de son parc de machines. « La numérisation est tout un processus dans lequel il faut s’ancrer et qui exige de la discipline », pointe-t-il. Un plan d’investissement l’a aidé à obtenir une vue d’ensemble.
Le bon logiciel
En principe, tous ceux qui disposent d’un tracteur compatible avec ISOBUS et contrôle de section peuvent se lancer dans l’utilisation de données de télémétrie satellite. Le logiciel Solorrow est une option pour les agriculteurs qui n’ont pas accès à ces conditions techniques de base, et séduit beaucoup d’utilisateurs du fait de son une interface simple à contrôler. Mais sans engagement ni intérêt, cela ne fonctionne pas : « Il faut être prêt à se pencher sur la technique », estime Aaron Borcherding.
L’ensemble de ces programmes fonctionnent avec des images satellites disponibles gratuitement sur Internet. La mission des logiciels est de traduire l’imagerie en informations exploitables par l’utilisateur.
Le logiciel le mieux adapté dépend des besoins et de la technologie existante. Au-delà, c’est aussi une affaire d’affinités personnelles. Outre Solorrow, MyDataPlant et Xarvio Field Manager, une foule de programmes sont disponibles. Ces trois logiciels ont cela dit en commun d’être compatibles avec le John Deere Operations Center. Le fait de vérifier à l’avance si les formats de fichier sont compatibles permet d’éviter des déconvenues : les erreurs de formatage des données et de configuration de la console comptent parmi les problèmes les plus fréquents chez les clients de Borcherding.
Une technologie futuriste
Malgré toute la technologie et la numérisation, il y a une tâche que l’agriculteur ne peut éviter : décider de la façon dont il doit traiter les données. L’agriculture de précision n’est qu’un outil qui permet de simplifier la gestion des peuplements et de rendre les cultures plus homogènes. Travailler avec la technologie est délicat ; mieux vaut ne pas s’y fier aveuglément. Car elle ne garantit pas que toutes les données sont correctes, et ne peut pas non plus remplacer les connaissances de l’agriculteur.
Par rapport aux autres possibilités liées à l’agriculture de précision, les données satellitaires offrent certains avantages : elles sont relativement bon marché, couvrent le champ complet, permettent une utilisation plus efficace des intrants et réduisent la marge d’erreur en matière d’estimation du potentiel de rendement. Eric Lothmann voit une belle opportunité pour l’agriculture dans cette technologie. Il en est convaincu, « il s’agit d’un changement dont il ne faut pas se priver si on vise une conduite d’exploitation tournée vers l’avenir. » Lars Lange est tout aussi enthousiaste : être assis sur la machine et constater que tout fonctionne bien est, selon lui, une « sensation phénoménale ».
Il s’agit donc de se lancer « en douceur », et de ne pas se décourager lorsque quelque chose ne fonctionne pas. Au début, le fait de travailler avec les données satellites demande, en effet, du temps, de la discipline et des investissements dans un parc de machines adapté, si cela n’est pas déjà le cas. Eric Lothmann le souligne, « on ne passe pas au numérique en un claquement de doigts ». Au vu des restrictions de plus en plus fortes en matière d’engrais et des prix croissants des intrants, les efforts pourraient cependant s’avérer rapidement payants.
Aperçu des solutions logicielles
Xarvio Field Manager
Ce logiciel permet de créer des cartes de modulation, sur l’application ou sur l’ordinateur, pour les semis, la fertilisation, la protection des cultures et les régulateurs de croissance. Xarvio permet de choisir entre une offre de base, pro et premium, avec une version de base gratuite pendant un an et pour deux champs. Ensuite, l’adhésion est toujours souscrite pour un an et n’est pas automatiquement renouvelée. Les frais sont calculés en fonction du nombre de parcelles et des fonctions souhaitées.
Les cartes de potentiel de rendement de Xarvio sont basées sur les images satellites des 15 dernières années. Une fonction récemment développée intègre automatiquement les distances de sécurité pour les traitements phyto. De plus, le logiciel permet de définir la meilleure fenêtre temporelle pour la fertilisation grâce à des modèles de phases de croissance. La version premium de Xarvio est le seul programme parmi ceux présentés ici à proposer également la modulation de la protection des cultures.
MyDataPlant
Tout comme Xarvio, le logiciel du développeur allemand Kleffmann Digital fonctionne aussi bien sur des appareils mobiles que sur ordinateur. L’entreprise propose trois volets à ses clients : semis, fertilisation et protection des cultures (uniquement pour les régulateurs de croissance). Une fois la version de test (gratuite pendant 14 jours pour cinq champs maximum) arrivée à échéance, un abonnement est souscrit pour un an et son prix est échelonné selon les mesures visées et selon la surface des parcelles.
L’outil multicouche est une option spéciale qui permet de recouper entre elles les données avec les formats les plus variés et de les intégrer aux cartes de documentation après évaluation individuelle, par exemple échantillons de sol, survols de drone ou données de rendement.
Solorrow
Solorrow, du fournisseur de logiciel du même nom, n’existe que sous forme d’application et vient également d’Allemagne. Ce logiciel a remporté le prix Hessischer Gründerpreis 2019. Eric Lothmann préconise ce logiciel pour sa simplicité d’utilisation, même pour les débutants. Il est comparativement bon marché et les frais sont échelonnés en fonction de la superficie. Comme les autres fournisseurs de logiciels, Solorrow propose également une version d’essai, gratuite pour trois champs. L’une de ses particularités est la détection automatique des bords de champ, qui permet d’éviter d’avoir à entrer soi-même ces données. Pour les agriculteurs sans tracteur compatible avec ISOBUS ou Shape, Solorrow propose un mode « conduite ». Il permet d’avoir un aperçu des zones et des quantités d’épandage sur une tablette pendant les travaux. Cela permet ensuite de prélever des échantillons de sol dans plusieurs zones et ainsi d’analyser en profondeur les différences entre champs en matière de productivité.
Pour ses cartes de potentiel de rendement, le logiciel exploite des images satellites des cinq dernières années et propose une préconisation de doses variables entre chaque zone du champ. Mais le dosage peut également être contrôlé manuellement si nécessaire. Comme d’habitude, l’utilisateur définit la stratégie d’application : une quantité élevée dans les bonnes zones et plus faible dans les mauvaises, ou inversement.