Le monde évolue et couve les dangers. Les maladies infectieuses sont la principale cause de mortalité, 17 millions de morts par an, avec en tête un trio : sida, tuberculose, paludisme. Les maladies, récurrentes, émergentes, spécifiques ou zoonotiques (qui passent de l’animal à l’homme), n’ont pas de frontières, non plus que leurs vecteurs mammifères, oiseaux, insectes, tiques…

Thierry Pineau, Inra et directeur de l’Institut Carnot France Futur Élevage
La mondialisation, l’évolution du climat favorisent leur extension. La compréhension et le contrôle des maladies infectieuses animales et humaines fédèrent les chercheurs dans une approche intégrée afin de surveiller leur émergence, d’étudier les interactions entre les pathogènes et leurs hôtes, et de traquer les risques le plus en amont possible.
Au cours des siècles, la grippe a fait nombre de victimes, et ce sont encore de 200 000 à 500 000 morts/an aujourd’hui. Ses trois types de virus, impossibles à éradiquer, sont les A, classés en sous-types, 18 H et 11 N, qui affectent l’homme et des animaux dont les oiseaux, des B l’homme et des C le porc et l’homme.
L’avifaune sauvage constitue un réservoir de la grippe aviaire et en colporte les virus. Le H5N8, non dangereux pour l’homme, a été détecté dès 2014. Il a explosé en Europe à l’automne 2016. En France métropolitaine, la fin de l’épizootie des oiseaux d’élevage était déclarée début mai 2017 ; les pertes se chiffrent à près de 10 millions de canards, entre abattages et non mises en production.
Les antiviraux ne sont pas envisageables chez les volailles et la production d’un vaccin contre leurs grippes se heurterait à de nombreux défis. « Il ne faut pas recommencer ici ce qui a été fait avec les antibiotiques et le développement des résistances, souligne Thierry Pineau, Inra et directeur de l’Institut Carnot France Futur Élevage. Ici, seules des mesures de prévention et de biosécurité en élevage et lors des transports peuvent être mises en œuvre pour enrayer cette épizootie. »
Un sanglier, des bovins
La tuberculose bovine, due au Mycobacterium bovis, est transmissible à l’homme et à divers mammifères (sangliers, cerfs, blaireaux…). Elle est une zoonose négligée à l’interface homme/bétail/faune en Afrique où elle provoque d’énormes pertes.
Grâce à la lutte contre cette maladie, la France a obtenu le statut « officiellement indemne de tuberculose bovine » (moins de 0,1 % des troupeaux bovins infectés), qui favorise le commerce international. La découverte début 2015 en Sologne d’un sanglier malade a entrainé un contrôle par intradermotuberculination sur les bovins à proximité. Sur deux ans, 45 bovins réagissant à ce test ont été abattus pour analyse complémentaire et près de 1 800 cervidés et sangliers sauvages ont été analysés, sans détecter d’animaux atteints.
En France, la vaccination antituberculeuse des bovins est interdite. Pour Alain Houchot (DD de la Cohésion Sociale et de la Protection des Populations du Loir-et-Cher) les principales mesures à respecter pour réduire les risques de contamination des bovins sont éviter leur contact avec la faune sauvage par les clôtures des pâtures et limiter l’accès des gibiers à leurs mangeoires. De son côté, la tuberculose humaine, due à M. tuberculosis, connaît une recrudescence : 10 millions de nouveaux cas par an, surtout en Asie, Amérique du Sud et Afrique. Ce bacille présente de nombreuses souches multi-résistantes aux antibiotiques. Des résultats d’essais de nouveaux antituberculeux sont attendus pour 2020.
Renouvellement et résurgence
Si diverses maladies des animaux domestiques sont bien installées en Europe, d’autres s’en approchent. Les virus (26 sérotypes) de la fièvre catarrhale ovine (maladie de la langue bleue des moutons) sont transmis par des moucherons piqueurs culicoides (1 343 espèces).
Le sérotype 8, émergé il y a une dizaine d’années, affecte plus fortement les bovins. Les moucherons s’infectent en suçant le sang d’animaux contaminés. Sur un territoire, la population s’immunise, mais la proportion d’animaux protégés diminue du fait du renouvellement, d’où les résurgences. Et avec le réchauffement, certains culicoides tropicaux survivent mieux à l’hiver.
Le virus de Schmallenberg, apparu en Europe sur les bovins, ovins, caprins en 2011, provoque entre autres des malformations néonatales. Les premiers animaux touchés se sont immunisés mais le virus reste présent chez les moucherons. Le renouvellement du cheptel lui offrira aussi un biotope favorable, à quelle échéance… ? Le virus d’Akabane, un parent proche identifié au Japon en 1959 qui sévit en Asie et Australie, resurgit tous les 6 à 10 ans.
Il est important de traquer les risques le plus en amont possible, d’améliorer le contrôle des maladies infectieuses animales et humaines, par une approche régionale, intégrée, interdisciplinaire et intersectorielle (One Health), via une interface pérenne entre recherche et surveillance. Les échelles d’analyse s’échelonnent du niveau moléculaire à celui des populations et les recherches combinent des expérimentations en laboratoire et en milieu contrôlé, ainsi que des expérimentations et enquêtes en milieu naturel.

Suivi des migrations de l’aquafaune sauvage : lâcher d’une sarcelle
d’été avec une balise Argos, Mali. © Cirad, Pierre Poilecot
Outre le risque strictement zoonotique, il importe aussi de continuer à lutter contre les maladies animales parce qu’elles peuvent aussi avoir un impact économique redoutable. La fièvre du Nil occidental, endémique en Afrique, est une zoonose dont les cas se multiplient en Europe du Sud. Ce virus illustre bien la dynamique de One Health. Deux vaccins sont en cours d’étude. Dans ce cadre, une équipe de l’Inra a produit un virus de poisson recombinant (en insérant un gène dans le génome du virus) pour élaborer un vaccin pour les mammifères. L’originalité ? Le virus de poisson ne se multiplie pas à des températures supérieures à 20°C. Parfait pour des animaux à sang chaud !
La mondialisation des échanges, les transports, le dérèglement climatique favorisent l’extension des émergences plus fréquentes de maladies exotiques.
Thierry Pineau
Vecteurs à confirmer
La dermatose nodulaire contagieuse (LSD en anglais) est une maladie des bovins due à un Capripoxvirus. Identifiée en 1929 en Zambie, la maladie est endémique en Afrique sub-saharienne. Passée par le Moyen-Orient, elle a atteint en 2015 le sud-est de l’Europe où 1 100 cas avaient été déclarés à fin novembre 2016. Huit pays contaminés, avec 3,5 millions de bovins, ont, à l’été 2016, acheté 845 000 doses de vaccins avec virus atténués, non autorisés dans l’UE car les animaux infectés ne peuvent être différenciés des vaccinés.

Émilie
Boushira, Maître de Conférences à l’ENVT
La propagation de la maladie a lieu par contact entre animaux, et vraisemblablement par des vecteurs hématophages : les stomoxes (des mouches piqueuses) et des tiques. Le projet multipartenaires NewSy LSD (regroupant des équipes de l’École Nationale Vétérinaire de Toulouse, du Cirad de Montpellier et des partenaires privés) cherche à déterminer si ces espèces et différents moustiques peuvent être considérés comme des vecteurs compétents du virus.
« Les connaissances relatives à la transmission vectorielle de la DNC sont lacunaires, pointe Émilie Boushira, Maître de Conférences à l’ENVT. Des investigations complémentaires sont nécessaires pour confirmer le rôle potentiel de ces arthropodes comme vecteurs. » Les vecteurs sont les cibles à privilégier. La mouche tsé-tsé, vecteur des trypanosomes des maladies du sommeil de l’homme et des animaux, est en cours d’élimination par la technique des mâles stériles (SIT) dans une zone isolée au Sénégal.

Jérémy Bouyer, Unité
ASTRE (Animal, Santé, Territoires, Risques et Écosystèmes) du
CIRAD à Montpellier. Photo : © M.-T. Seck, ISRA.
« Une dizaine d’années a été nécessaire entre le début des études des populations de glossines et les résultats, avec l’élevage et l’irradiation des mâles stériles, puis les campagnes d’épandage automatique par gyrocoptère, » souligne Jérémy Bouyer à l’Unité ASTRE (Animal Santé Territoires Risques et Ecosystèmes) du CIRAD à Montpellier. Les éleveurs pourront en tirer un revenu annuel supplémentaire de 2 400 €/km2 avec des animaux plus sains et en adoptant des races plus productives. Un objectif de la FAO est d’éliminer la trypanosomiase humaine en 2020.
Parmi les 3 500 espèces de moustiques dans le monde, moins de 100 piquent l’homme. Tous ont un rôle dans la chaîne alimentaire, les oiseaux migrateurs les avalent par milliards en Europe du Nord. Des Anopheles sont les vecteurs du paludisme, des Aedes transmettent la dengue, la fièvre Zika : les moustiques n’ont jamais concentré autant de moyens.
Tenter d’en éliminer un conduirait à le remplacer par un autre. Les Aedes albopictus et A. aegypti s’adaptent aux villes et étendent leur aire de distribution. Le pyriproxifène, un insecticide de troisième génération, est un analogue d’hormone juvénile qui bloque la métamorphose de la larve à l’insecte adulte. Il est utilisé en pulvérisation et dans les abreuvoirs. Le projet Boosted-SIT apporte l’innovation.
« La méthode combine l’effet stérilisant des mâles stériles à l’effet biocide d’un autre agent, un virus ou le pyriproxifène ; toute la descendance est touchée », explique Jérémy Bouyer en charge de sa réalisation à l’échelle mondiale. Une façon de réduire l’emploi des insecticides et de maintenir la biodiversité.
Sida, ebola, SARS-CoV, Mers-CoV.
Ces virus non apparentés, au départ d’origine animale, ont passé la barrière des espèces.
Le sida
Passé des grands chimpanzés à l’homme vers 1908 au Cameroun. Le virus de l’immunodéficience simienne (VIS) se transforma en VIH chez l’homme. Contagion par les aiguilles lors de la vaccination des travailleurs des plantations d’hévéas du bassin du Congo contre la maladie du sommeil puis contre la syphilis. Introduit à Haïti en 1966 par des spécialistes haïtiens, médecins et enseignants, retour du Congo-RDC ; de là aux États-Unis. Depuis, 40 millions de morts dans le monde et plus de 3 millions de nouveaux cas par an. Les trithérapies antivirales permettent de stopper la prolifération du virus ; la recherche sur les vaccins se poursuit.
Ebola
Virus détecté en Afrique centrale en 1976, l’un des plus dangereux pour l’homme, 11 300 décès recensés en Afrique de l’Ouest depuis 2013. Hôtes primaires des virus Ebola : probablement des chauves-souris. Premier vaccin efficace contre la souche Zaïre annoncé fin 2016. Développer un second vaccin contre la souche Soudan, et un autre pour protéger les soignants, reste un objectif.
SARS-CoV & MERS-CoV
Les coronavirus (aspect en couronne) sont une immense famille. Parmi les coronavirus humains, le SARS-CoV (Syndrome Respiratoire Aigu Sévère) provoqua en 2002 une épidémie de pneumonie atypique, 774 morts dans 37 pays. Réservoir probable de ce virus, des chauves-souris Rhinolophes alors que d’autres, Tylonycteris et Pipistrellus, sont le réservoir du MERS-CoV (Syndrome Respiratoire du Moyen-Orient) détecté en 2012 en Arabie Saoudite. Le dromadaire est l’hôte intermédiaire qui le transmet à l’homme : 567 décès dans 26 pays à mi-2015. Ni traitement antiviral ni vaccin contre ces deux virus.