Les produc­teurs s’impliquent dans la filière chanvre

Le chanvre indus­triel déve­loppe ses filières et ses débou­chés. Une culture sobre, propre, avec à la clé deux produits valo­risés : la graine et la paille. Elle implique désor­mais un millier d’agriculteurs.

« Nous sommes passés à 650 hectares en 2016 contre 250 hectares l’année précé­dente. Et nous prévoyons d’implanter plus de 800 hectares supplé­men­taires en 2017 », relate Nicolas Dufour, Direc­teur de Gati­chanvre. Au sud de l’île de France, cette jeune struc­ture regroupe aujourd’hui plus de 70 produc­teurs autour du siège de Prunay-sur-Essonne. Sa force : un pôle commer­cial en place depuis deux ans, qui a permis d’établir de nombreux contacts avec les indus­triels.

Chez Gati­chanvre comme chez la plupart des produc­teurs fran­çais, la majo­rité des surfaces sont récol­tées pour les deux débou­chés : la graine (ou chènevis) et la paille (répartie entre fibre et chène­votte, partie plus dure).

Première trans­for­ma­tion

La paille de chanvre ne manque pas de débou­chés : béton-chanvre, maté­riaux de construc­tion, isolants…  C’est une matière première demandée pour l’élaboration de maté­riaux destinés à l’éco-construction. « Avec Gati­chanvre, nous voulons faire le lien entre le champ et les clients trans­for­ma­teurs. Les fibres issues de nos récoltes sont trans­for­mées en Vendée par la Cavac*, pion­nier de la filière chanvre. Nous distri­buons ici leurs produits finis : laine de chanvre, béton-chanvre, isolants et enduits chaux-chanvre adaptés aux bâti­ments anciens. »

Adepte de la vente directe, Gati­chanvre a pour clients des parti­cu­liers et des entre­prises du bâti­ment. Celles-ci viennent se fournir direc­te­ment dans le hangar de 1 600 m2, comme dans un vrai négoce… À  40 km au Sud de Paris, c’est un empla­ce­ment bien pratique pour les entre­prises de l’Île de France. Quant à la graine de chanvre ou chènevis, Gati­chanvre la commer­cia­lise aussi sans problème.

En alimen­ta­tion humaine, les débou­chés de la graine se déve­loppent sous forme de farine et surtout d’huile, riche en oméga 3-6-9. L’offre est actuel­le­ment infé­rieure à la demande. L’huile est aussi recher­chée en cosmé­tique, rentrant dans la compo­si­tion des crèmes et savons. Les projets de Gati­chanvre ne s’arrêtent pas là. Un nouvel entrepôt de 2 200 m2, dédié à la vente des maté­riaux de construc­tion, est en cours d’installation… À côté, l’ancien local va être équipé d’une ligne de défi­brage, qui permettra bientôt de faire sur place la première trans­for­ma­tion.

Semé entre entre fin mars et mi-mai, le chanvre est une plante à cycle court.

Le fanage aère la paille de chanvre, la fissure et active le phéno­mène de rouis­sage. Les fibres deviennent plus fines et plus souples, passant du vert foncé au jaune puis au gris.

Il se passe en moyenne 20 jours entre la fauche et la récolte des pailles, qui sont ensuite pres­sées.

Planète chanvre

Autre jeune grou­pe­ment de chan­vriers : Planète Chanvre. Avec ses mille hectares pour une dizaine de produc­teurs, cette struc­ture existe depuis cinq ans sous forme de SAS. Parti de rien, le grou­pe­ment a mis en place, à Aulnoy en Seine-et-Marne, une usine de défi­brage qui emploie aujourd’hui une dizaine de sala­riés. Dès le départ, Planète Chanvre a aussi investi dans le maté­riel de récolte. « Nous produi­sons 7 000 tonnes de paille et près de 800 tonnes de chènevis. En surface, nous avons beau­coup progressé à partir de la troi­sième année de culture. Et nous arri­vons à un plafond avec environ 1 000 hectares » rapporte Romaric Lemoine, qui super­vise les chan­tiers de récolte.

Nous produi­sons 7 000 tonnes de paille et près de 800 tonnes de chènevis.

Romaric Lemoine

Son père Didier Lemoine est lui aussi partie prenante. Il cultive une ving­taine d’hectares sur les coteaux de Signy-Signet près de Meaux. L’avantage de la culture : des charges très faibles. Le chanvre ne demande pas d’herbicides ni de fongi­cides, juste une ferti­li­sa­tion minimum en azote. Reste à renta­bi­liser l’achat des équi­pe­ments de récolte et stockage fait par les action­naires de Planète Chanvre.  « Cette année, j’ai de bons résul­tats malgré la météo très pluvieuse en mai-juin et sèche en août », constate Didier Lemoine.

« Nos terres ont 35% d’argile, avec une bonne réserve utile en eau. Nous semons le chanvre mi-avril si possible et au plus tard début mai. L’important, c’est de réussir la levée. » Planète Chanvre estime que son inves­tis­se­ment devrait être amorti au bout d’une dizaine d’années. « Par la suite », glisse Didier Lemoine, « la culture devrait nous apporter un bon revenu. »

Dans les locaux de Gati­chanvre, les fibres issues des récoltes, une fois trans­for­mées, sont vendues aux arti­sans de la région.

Une plante souple et sobre

Sous l’angle agro­no­mique, le chanvre a un grand atout : il se cultive dans toutes les régions du Nord de la France. « Le prin­cipal facteur limi­tant, c’est la séche­resse au moment de l’implantation en avril-mai. C’est pour­quoi il faut choisir des sols ayant une réserve utile en eau suffi­sante », estime Nicolas Dufour. Dans certaines régions, la tendance a plutôt consisté à placer le chanvre sur les sols séchants… ce qui peut expli­quer des résul­tats un peu moins bons en 2015 et 2016, deux années ayant connu des débuts de prin­temps secs.

« Ce choix de parcelles peut expli­quer la varia­bi­lité des rende­ments moyens observés selon le régime hydrique au cours du cycle de la culture », juge Louis-Marie Allard, ingé­nieur à Terres Inovia. La récolte de  2016 a été parti­cu­liè­re­ment hété­ro­gène. « En moyenne on devrait se situer autour de 9-10 q/ha pour le chènevis et 9-10 t/ha pour la paille. Mais la four­chette s’avère bien plus large. Elle va de 3 t à 15,5 t/ha pour la paille et de 7 à 11 q/ha pour le chènevis. »

La raison : des condi­tions clima­tiques à l’implantation très diverses, qui ont généré une forte ampli­tude de résul­tats. Dans les secteurs touchés par les inon­da­tions de juin 2016 suivies d’une longue période de séche­resse, l’impact du climat a été sensible, en parti­cu­lier dans certains bassins de produc­tion, de l’Est de l’Île-de-France à la Sarthe.

Malgré ces écarts de rende­ment impor­tants, les surfaces de chanvre conti­nuent de progresser petit à petit, passant de 13 000 hectares en 2015 à 15 000 ha en 2016, et 17 000 ha en 2018.

« La part de chanvre dans la SAU de ceux qui le cultivent repré­sente près de 10 %, ce qui peut s’expliquer par l’expérience de produc­teurs qui s’approprient de plus en plus la culture et lui donnent une place d’intérêt dans la rota­tion », explique Louis-Marie Allard. La plupart des exploi­ta­tions chan­vrières ont une surface de plus de 200 ha dans l’Est et de plus de 140 ha dans l’Ouest. On dénombre plusieurs grands bassins de produc­tion, dont font partie la CAVAC en Vendée, La Chan­vrière de l’Aube, Planète Chanvre dans la Brie, Gati­chanvre au Nord de la Beauce, Euro­chanvre en Franche-Comté…

Premier débouché : la graine de chanvre ou chènevis, en alimen­ta­tion animale, humaine et cosmé­tique.

Deuxième débouché : la fibre de chanvre ou chène­votte, qui est la partie péri­phé­rique de la tige.

Une fois compactée, la fibre donne un maté­riau d’isolation pour l’habitat.

Multi-débou­chés

S’agissant des débou­chés, le chanvre pour­suit une carrière promet­teuse dans le domaine de l’éco-construction, sous plusieurs formes : granu­lats, fibres en vrac, fibres mélan­gées à du plâtre ou du béton. Ces maté­riaux servent à isoler la toiture, le sol ou les combles. Liés au béton, ils servent à remplir des murs à ossa­ture bois ; ou bien ils permettent de réaliser des couches isolantes en terre-plein ou sur tout type de plan­cher.

La paille se récolte avec une ensi­leuse équipée d’un bec spécial.

De plus en plus d’architectes y ont recours pour restaurer d’anciennes bâtisses… C’est le cas de Luc Larvaron, archi­tecte du patri­moine, qui utilise depuis long­temps le chanvre pour remettre en état des maisons anciennes à ossa­ture bois, car la plante présente des qualités d’isolation. « Le béton-chanvre remplace le torchis, et remplit l’intervalle entre les pans de bois, ceux-ci restant tota­le­ment appa­rents. Une béton­nière suffit à sa mise en œuvre. La surface présente quelques irré­gu­la­rités, mais elles ne sont pas gênantes. » À l’extérieur, le chanvre peut rester appa­rent, ou être recou­vert d’un enduit.

En vrac, le chanvre permet une isola­tion par voie sèche : on déverse simple­ment les granu­lats dans les vides de construc­tion. Ces parti­cules de chanvre ne sont pas consom­mées par les rongeurs ou les insectes et elles assurent une bonne perfor­mance ther­mique. La fibre du chanvre peut aussi rece­voir un enro­bage de bitume naturel, qui sert de sous-couche de chape flot­tante ou de plan­cher. Il se pose direc­te­ment sur des plan­chers bruts ou anciens, et apporte une bonne isola­tion ther­mique et phonique.

Mais ce sont les mortiers et bétons de chanvre qui se sont le plus déve­loppés. En effet, le mélange de chène­votte ("bois du chanvre") avec un liant à base de chaux donne nais­sance à des bétons très isolants, et masse volu­mique faible.  Ils peuvent servir à fabri­quer une chape légère, un enduit, ou à remplir un mur. On dispose aujourd’hui d’une ving­taine d’années de recul sur le chanvre en construc­tion, dont ressortent trois avan­tages : la résis­tance méca­nique des fibres, la faible densité et le pouvoir isolant. Ce qui laisse présager d’un bel avenir.

D’autant qu’en 2016, la filière chanvre comme celle du lin, a été placée par le CESE** au cœur des enjeux des maté­riaux biosourcés émer­gents. Objectif : offrir un cadre favo­rable aux produits inno­vants issus du chanvre.

 

*CAVAC (Coopé­ra­tive Agri­cole Vendéenne d’Approvisionnement et de Vente de Céréales) qui déve­loppe Biofib’Isolation, marque 100 % fran­çaise de l’isolation végé­tale biosourcée.
** Conseil écono­mique, social et envi­ron­ne­mental