À l’exercice de la photosynthèse, la betterave sucrière, plante de jours longs, est particulièrement performante. Des printemps plus chauds permettent de la semer plus tôt, « une dizaine de jours en 25 ans », indique Fabienne Maupas, spécialiste monitoring et modélisation à l’Institut Technique de la Betterave. Avec des semences activées et une vigueur de départ améliorée, « ce gain se traduit par une mise en place plus précoce de l’appareil photosynthétique : 3,5 m² de feuilles par m² de sol pour intercepter le rayonnement solaire. En sucre, la moitié de l’augmentation de 180 kg/ha/an sur la période est attribuable au réchauffement ».
La betterave a besoin d’eau, de 300 à 400 l par kg de sucre, bien moins que la canne à sucre, mais la sécheresse de 2015 a pénalisé ses rendements. Elle ne fonctionne bien que si ses feuilles et ses racines restent saines.
L’analyse du développement foliaire montre que les variétés les plus homogènes à la levée le sont aussi à la récolte, avec un avantage tant pour le désherbage que pour le décolletage.
Fabienne Maupas
Les sélectionneurs ont déjà introduit de nombreux gènes de productivité, de teneur en sucre, d’amélioration de la qualité de récolte comme la forme des racines, la pureté des jus, la conservation en silo, des gènes de résistance aux maladies et parasites, « sans lesquels sa culture ne serait pas rentable dans nombre de régions, » souligne Achim Feger, directeur régional chez KWS, société appliquée au maintien et à l’élargissement de la diversité génétique. Entre autres, les résistances à la rhizomanie et aux nématodes proviennent de betteraves sauvages.
Séquençage, productivité et Aker
Le génome de la betterave est assez simple et quatre fois plus petit que le génome humain ou vingt fois plus petit que celui du blé. Le séquençage du génome de la betterave en 2011 dans le cadre du programme allemand GABI, par des chercheurs du Centre de Biotechnologies de Bielefeld et du Max Planck Institut de Berlin avec la participation des sélectionneurs allemands Strube et KWS, a permis d’identifier 535 séquences génomiques d’intérêt sur ses 18 chromosomes ; il accélère la connaissance de la structure et du fonctionnement de cette chénopodiacée. Depuis d’autres séquences ont été déterminées et il est possible d’attribuer une valeur agronomique à un fragment de chromosome.
La génomique arrive en sélection de la betterave ; elle en clarifie les procédés et les mécanismes génétiques pour accélérer son amélioration.
Mitchell McGrath
À ce jour, par le jeu de la génétique, le rendement en sucre augmente en moyenne de 1,5 à 2 % par an. Ce rythme devrait doubler dans les prochaines années, selon les objectifs du projet français Aker, mis en place en 2012, un des programmes Investissements d’avenir. Il s’agit d’améliorer la productivité de la betterave à sucre, de mieux sécuriser ses rendements, de gagner en compétitivité face à la canne à sucre aux rendements moitié moindres mais aux coûts de production 30 % plus bas, et aussi de mieux se prémunir face à la fin des quotas dans l’Union européenne en octobre 2017. Ce projet compte 80 chercheurs pour 11 partenaires, publics (universités, instituts techniques, Inra…) et privés dont le sélectionneur Florimond Desprez.
Pour Mitchell McGrath, généticien de l’unité betterave du Département de l’Agriculture à East Lansing, Michigan (É.-U.) et président du comité scientifique d’Aker, « la génomique arrive en sélection de la betterave, elle en clarifie les procédés et les mécanismes génétiques pour accélérer son amélioration ».
Phénotypages et variétés
Les variétés cultivées aujourd’hui reposent encore sur une base génétique relativement étroite, surtout à partir de populations du nord de l’Italie et de la façade atlantique. Mais en fait, la diversité génétique du genre Beta est large. Aker est parti à sa recherche. Dans le monde, les collections de betteraves, variétés et espèces sauvages apparentées, comptent des milliers d’accessions ; des collections de référence ont été définies entre l’Europe et les États-Unis.
Dès 2013, à partir de l’analyse moléculaire de 10 000 échantillons, le premier résultat d’Aker a été de déterminer que 15 espèces exotiques représentaient l’ensemble de la diversité du genre. Leur génome a été analysé. Elles sont des Beta vulgaris sp. vulgaris, B. maritima, B. trigyna… ou des apparentées B. procumbens, plus ou moins faciles à croiser avec la betterave cultivée. L’accent est mis sur l’information génomique, sous l’égide de l’Inra et de Florimond Desprez. Les 15 plantes ont été croisées et rétrocroisées avec des betteraves élites, mères des variétés actuelles. Les descendants, génotypés maintenant, intègrent de petits fragments chromosomiques des exotiques. Ces fragments seront confrontés aux facteurs du milieu afin de générer le matériel original, base des sélections futures.
À partir de 2018 s’ensuivra le phénotypage, sur la semence, la plantule, les feuilles, la racine, avec de nouvelles techniques d’imagerie. Les réactions aux pathogènes, aux stress, eau, chaleur, froid, l’assimilation de l’azote, l’élaboration du rendement pourront être suivis et reliés au génome. Il apparaît que la plantule comporte des zones de températures variables selon la vitesse de germination qui pourraient aider à prédire la teneur en sucre de la racine. La sélection des premières betteraves nouvelles est prévue pour 2020, leur arrivée sur le marché après les essais variétaux, leur inscription et leur multiplication.
Herbicides, biomasse, hiver
Aux États-Unis, les conditions climatiques sont différenciées, le cycle de végétation au nord est plus court, la sévérité des maladies du feuillage et des racines varie selon les zones de culture que couvrent cinq stations de l’USDA. Les résistances variétales sont élevées, étant entendu qu’à l’exemple du Rhizoctonia les plus protégées ne sont pas les plus productives. Betaseed (filiale de KWS) domine le marché des semences. Les variétés tolérantes au glyphosate sont apparues en 2007, pour réduire le nombre de traitements herbicides, et les rendements ont aussi augmenté. Elles couvrent maintenant 99 % des surfaces, mais « cette voie n’est pas acceptable en Europe », souligne Benoît Rose, directeur commercial Ouest Europe à Betaseed France.
De ce côté de l’Atlantique, la mise au point de la tolérance à certains inhibiteurs de l’ALS, une très large classe d’herbicides, « résulte de techniques de sélection conventionnelles, admissibles sur tous les marchés », précise Jean-Noël Evrard, directeur marketing de SESVander-Have. Chez KWS, ce projet a été initié en 2001, en collaboration avec Bayer Crop Science. Cette tolérance a été trouvée dans l’une des 1,5 milliard de cellules criblées. Les premières variétés tolérantes, issues de la technologie Conviso® Smart, sont annoncées pour la fin de la décennie. Une nouvelle option de désherbage.
La mise au point de la tolérance à certains herbicides inhibiteurs de l’ALS résulte de techniques de sélection conventionnelles, acceptables sur tous les marchés.
Jean-Noël Evrard
Le sucre est un produit alimentaire et une matière première pour l’industrie. La betterave sert aussi à la production d’éthanol. Certaines variétés sont très riches en sucre avec des rendements matière sèche moindres, d’autres font avant tout du tonnage. Ces dernières constituent « une alternative sensée à d’autres cultures de biomasse telles le maïs ; elles sont une excellente énergie pour nourrir les bactéries dans les digesteurs pour le biogaz », indique Dr Axel Schechert, chef sélectionneur betterave de Strube (représenté par Deleplanque en France).
La culture de betteraves d’hiver récoltées en été, courante au sud de l’Espagne, augmenterait en région tempérée le rendement de 20 à 30 % et prolongerait l’activité des sucreries. La betterave est une plante bisannuelle qui monte à graines après exposition au froid. Ici, il s’agit donc d’activer ou désactiver les gènes de résistance au froid pour lui permettre de stocker du sucre ou produire les indispensables semences. Une tâche à long terme, compliquée même dans un petit génome.
La betterave, avec sa forte proportion de composés fermentescibles, peut être le complément sensé d’autres cultures pour la biomasse et remplacer des plantes, telles que le maïs.
Axel Schechert
Une racine spécialisée pour stocker du sucre
Christian Huyghe, chef de projet Aker, directeur scientifique adjoint Agriculture à l’Inra.
Les cultures d’hiver exploitent peu les effets favorables du changement climatique car la durée de leur cycle de végétation n’a pas augmenté, alors que celui-ci s’allonge en cultures de printemps. En betterave sucrière, les variétés et la technologie des semences exploitent bien les semis précoces. En été la betterave est au stade végétatif et couvre le sol, elle est cultivée dans des régions ol’eau est disponible, dans le sol ou par irrigation. La limitation de la masse foliaire par le contrle de la fertilisation azotée évite une évapotranspiration trop forte et réduit les risques de maladies des feuilles. La racine de betterave est juste spécialisée pour stocker du sucre.
L’objectif du programme Aker est de doubler le rythme d’augmentation de ses rendements. Son originalité est de chercher la diversité génétique afin de maximiser l’efficience de la plante. L’analyse des ressources génétiques et la connaissance de leurs caractéristiques moléculaires ont permis d’avoir une photographie de l’ensemble de la diversité qui peut être mobilisée au service de l’amélioration de la betterave sucrière. En fin du programme après génotypage et phénotypage, les plantes croisées retenues permettront de développer directement des variétés.
Pour en savoir plus
- Le programme AKER visa à améliorer la compétitivité de la betterave
- L’obtenteur de variétés et producteur des semences Florimond Desprez
- Le site du sélectionneur Strube (en anglais)
- Le site du sélectionneur KWS (en anglais)
- Le sélectionneur et producteur de semences de betterave à sucre SESVanderHave
Cet article est originellement paru dans l’édition avril 2016 du Sillon.