Une chose est claire : pour la ferme Spitalhof, l’abandon du glyphosate en 2021 dans les zones de protection des eaux aura des conséquences non seulement sur la charge de travail, mais aussi le risque d’érosion. Sur ces terres en non-labour depuis 40 ans, un à deux passages supplémentaires pour chaque culture sont désormais requis. Ce qui signifie plus de gazole consommé, mais aussi plus de minéralisation. Les nutriments libérés lors de la décomposition de l’humus sont dès lors exposés au lessivage. « En résumé, je fais tout ce que j’essaie justement d’éviter. Mais je n’ai pas le choix », constate Alexander Kern, chef d’exploitation. Car c’est précisément pour conserver la matière organique que cet agriculteur- boucher du village de Bretten, dans le Land allemand du Bade-Wurtemberg, a adopté les TCS et généralisé les couverts végétaux.
De fait, certains agriculteurs allemands pratiquant le non-labour de longue date recommencent depuis 2021 à travailler le sol de manière plus intensive. En cause, l’interdiction du glyphosate dans les zones de protection des eaux et de son utilisation tardive avant la récolte, dans le cadre de la nouvelle réglementation allemande des phytosanitaires introduite il y a deux ans. « Sur certaines rotations, dans les zones de protection des eaux de la région de Karlsruhe, les taux de nitrate augmentent à nouveau », commente Rolf Kern, expert en fertilisation, érosion et protection des sols auprès du Land du Bade-Wurtemberg. Il estime néanmoins que l’abandon de la charrue reste possible, voire souhaitable. « Je suis convaincu que nous ne pouvons pas lutter autrement contre le changement climatique. Nos sols doivent devenir plus résilients et nous n’y parviendront que sans labour. Car le celui-ci réduit la fertilité des sols et consomme de l’eau », rappelle-t-il. « Effectuer uniquement un travail superficiel », voilà selon lui le mot d’ordre.
Le travail de la famille Kern à la ferme Spitalhof le démontre, il reste possible de conduire un système avec un travail du sol superficiel et cultures intermédiaires malgré l’abandon du désherbant total. À ce chapitre, Alexander Kern apprécie les mélanges à haute variété spécifique comme protection contre l’érosion. La bonne structure du sol qu’elles laissent derrière elles profitera à la culture suivante, à condition de ne pas retourner le sol.
Profiter du gel pour détruire les couverts
Lorsque l’agriculteur a compris qu’il devait renoncer au glyphosate, il a investi dans un déchaumeur à dents de 6 mètres avec un débit de chantier de 6 ha/h et de larges socs pattes d’oie. Il peut ainsi attaquer les cultures intermédiaires et les adventices à 2-3 cm de profondeur. Cette vitesse de travail permet d’effectuer rapidement des passages supplémentaires au besoin. « Je ne peux que le recommander », témoigne l’agriculteur.
En fonction du couvert et de la culture principale, il met en œuvre deux stratégies pour prévenir toutes les repousses : la méthode standard sera utilisée avant la plupart des cultures, et un compostage de surface avant les cultures intermédiaires plus tardives. En période de gelée, le procédé standard comprend la destruction de la culture avec un rouleau à couteaux puis, dans la foulée, un enfouissement des résidus à l’aide du déchaumeur. « Détruire la culture intermédiaire en période de gel, quel que soit l’outil utilisé, joue un plus grand rôle pour une élimination efficace que le travail ultérieur avec cultivateur, herse à disques ou déchaumeur », note Alexander Kern. Cette méthode permet d’éliminer de façon fiable les phacélies ou le niger.
Broyer la culture intermédiaire lors des gelées a un impact important sur le succès de la destruction.
Alexander Kern
En théorie, il pourrait suffire d’enfouir directement les couverts au cultivateur en période de gel. Mais les plantes à peine broyées pourraient alors gêner l’action du déchaumeur au printemps. Une fois la culture intermédiaire détruite, les vers de terre prennent le relais et accélèrent la décomposition des résidus. Le champ a l’air à peine travaillé, mais pour Alexander Kern, l’important est bien de laisser la plus de masse végétale possible sur le sol, comme protection contre l’érosion et comme écran thermique.
La culture suivante est implantée dans les résidus végétaux. L’agriculteur possède un matériel adapté au semis direct pour le semis des betteraves ; avant le semis de l’orge, la herse rotative n’a aucun mal à passer.
Compostage de surface
Avant les cultures de printemps comme le maïs, un compostage de surface est mis en œuvre – un procédé usuel pour l’agriculture régénératrice, dont Alexander Kern a adopté les principes en 2021, et qui permet de prolonger la couverture sol. La culture intermédiaire qui a passé l’hiver dans le champ est alors détruite au printemps à l’aide d’une fraise, d’un cultivateur ou d’une herse à disques, et directement passée au broyeur. Plus la culture intermédiaire a pu se développer auparavant, plus les effets positifs pour le sol seront importants. L’inconvénient : « Si un couvert reste aussi longtemps debout, on y trouvera aussi des adventices », indique Alexander Kern. Dans le maïs en revanche, beaucoup de produits restent encore disponibles, ce qui lui permet d’éliminer les graminées en cas de doute.
Pour le compostage de surface, la fraise est équipée d’un réservoir permettant de pulvériser des ferments dans le couvert haché au ras du sol. Ceux-ci contribuent à un processus de décomposition ciblé. À noter, le compostage de surface nécessite aussi une certaine température du sol, et une activité biologique suffisante. La coupe, le broyage et le mélange des restes végétaux avec la terre sont effectués en une seule étape. « Ça représente beaucoup de travail. Il faut rouler lentement. » Un travail à la herse à disque cela serait bien plus simple, mais la coupe serait moins propre.
Le champ soumis à un compostage de surface est ensuite laissé une ou deux semaines sans intervention, en fonction de la météo. Avant le semis de la prochaine culture, il n’y aura plus qu’une étape de travail avec le déchaumeur.
Mêmes les bons plans peuvent échouer
Voilà pour la théorie. Mais cette année, la météo a perturbé les plans de la famille Kern. Le couvert gélif aurait normalement dû être mélangé au sol avec une fraise à 2-3 cm de profondeur dès la mi-mars. Mais ce n’est qu’à la mi-avril qu’il a été possible d’entrer dans les champs. Pour couronner le tout, la culture intermédiaire avait mal poussé à l’été 2022, suite à une météo trop sèche, d’où un problème de salissement avec le vulpin des champs et des repousses de seigle. Cette année, le compostage de surface n’est, par conséquent, pas envisageable. « Je vais devoir travailler le sol de façon plus profonde », explique Alexander Kern.
Je suis convaincu que nous ne pourrons pas faire face au changement climatique autrement.
Rolf Kern
Il n’en est pas mécontent pour autant. La culture intermédiaire a fixé de l’azote pendant huit semaines et a contribué à la vie du sol, en plus de le protéger par son couvert. « Je n’avais pas d’érosion et j’ai pu épandre du compost, du digestat et du fumier en hiver. C’était mon objectif », rapporte Alexander Kern. En contrepartie, il doit composer avec la présence des adventices. « Il faut s’adapter », raisonne-t-il. Cette année, ce n’est que peu de temps après Pâques qu’il a pu détruire la culture intermédiaire, avec une profondeur de travail de 8 cm. Un second passage a été effectué environ une semaine plus tard sur les résidus. La dernière étape de travail devrait avoir lieu très rapidement au bout d’une autre semaine, avant le semis du maïs. D’ici là, les mauvaises herbes devraient être complètement éliminées, si le temps reste sec pendant quelques jours.
Adapter le travail du sol pas à pas
Le conseiller Rolf Kern recommande aux agriculteurs qui souhaitent réduire le travail à la charrue de ne pas passer brusquement à un nouveau type de travail du sol. « Cela ne fonctionne pas », avertit-il. Il est plutôt recommandé d’y aller progressivement ainsi que d’accompagner cette transition par une rotation adaptées, des mélanges de cultures intermédiaires et, là où cela est possible, des cultures associées en semis direct. « Les plantes permettent d’améliorer la structure du sol et le taux de MO. Plus le sol est riche en humus, plus il est facile de le travailler en surface », décrit l’expert.
Pour s’adapter progressivement, il est par exemple encore possible de travailler au cultivateur sur 10 à 15 cm pendant la ou les deux premières années. Par la suite, on pourra réduire la profondeur d’année en année et également passer du cultivateur à la herse à disques. Environ quatre ans après les premières étapes de transition vers un travail du sol minimal, il est alors possible de ne plus travailler qu’au niveau de la surface.
Alexander Kern est encore indécis sur l’influence qu’aura à long terme sur son exploitation l’interdiction du glyphosate dans les zones de protection des eaux : « Il est possible qu’à l’avenir je doive à nouveau utiliser la charrue, bien que j’aie besoin d’une protection contre l’érosion », envisage-t-il, du fait des repousses d’adventice. Pour le moment, il estime encore qu’un système sans labour et sans glyphosate reste possible.
Partisan d’un travail du sol de conservation, Rolf Kern est quant à lui convaincu que le non-labour est faisable même sans glyphosate. Selon lui, les agriculteurs qui ne travaillent plus qu’au niveau superficiel disposent déjà du savoir-faire et de l’expérience requis. « Il faut compter plus de temps de travail, plus d’équipements, une usure plus importante des pièces, plus de passages et plus de gazole, mais ils réussissent quand même. »
Reste que l’abandon définitif de la charrue, dans l’hypothèse d’une interdiction complète des désherbants totaux, ne sera pas envisageable sans des investissements dans les matériels adaptés, concède Rolf Kern. Alexander Kern peut en témoigner : l’agrandissement conséquent de son parc d’outils a eu un impact sur les charges. Néanmoins, ils lui permettent d’être plus réactif face aux différentes situations de terrain. Actuellement, les longs délais de livraison des fabricants (6 à 10 mois) peuvent retarder le passage à un nouveau type de travail du sol. « Ce n’est que si l’on peut travailler au niveau de la surface que l’élimination des adventices et des repousses de céréales peut fonctionner même sans glyphosate ni labour », résume l’expert Rolf Kern.
Spitalhof Alexander und Martin Kern GbR
- Localité : 75015 Bretten (Bade-Wurtemberg)
- SAU : 200 ha, dont la majorité en grandes cultures
- Sol : hétérogènes, majoritairement très bons avec une couche importante de loess
- Exploitation : conventionnelle, en agriculture régénératrice depuis 2019, travail du sol sans labour depuis 40 ans
- Cultures : betterave à sucre, maïs de méthanisation, soja, blé d’hiver, escourgeon, seigle, orge de printemps et luzerne, bandes fleuries
- Productions : polyculture élevage, élevage de vaches allaitantes et engraissement de bovins avec en tout 50 bêtes en stabulation libre, vente directe au magasin de la ferme avec une boucherie, restaurant, accueil d’événements (anniversaires…)
- Main d’œuvre : entreprise familiale (mère, père, fils et fille), deux vendeuses à temps partiel
- Outils de travail du sol : herse à disques de 4 m, cultivateur lourd de 4 m, déchaumeuse de 6 m, cultivateur agricole de 3 m avec défonceuse, rouleau à lames horizontales de 6 m