Des abeilles contre le botrytis

Plusieurs espèces de polli­ni­sa­teurs pour­raient jouer un rôle d’auxiliaire lors des trai­te­ments fongi­cides, sur les frai­siers et d’autres cultures. La méthode, déjà déployée aux États-Unis, est au cœur d’une étude visant à déter­miner son degré d’efficacité.

Qui dit agri­cul­ture de préci­sion, pense d’abord satel­lites, algo­rithmes, coupure de section… Mais l’un des modes d’application (phyto­sa­ni­taire) le plus précis au monde à ce jour repose sur une tech­nique ances­trale : placer des ruches près des cultures.

 

Dénommée « vecto­ri­sa­tion par les abeilles », la méthode essaime dans plusieurs régions nord-améri­caines produc­trices de petits fruits. « Les abeilles entrainent des parti­cules d’agents de biocon­trôle en sortant de leur ruche et les dissé­minent sur les cultures en floraison », décrit Susan Willis Chan, de l’Université de Guelph (Canada). « L’approche fonc­tionne sur les frai­siers, fram­boi­siers, pommiers, caféiers, concombres et éven­tuel­le­ment sur les tour­ne­sols et certaines espèces de colza. En prin­cipe, la vecto­ri­sa­tion par les abeilles peut être employée sur n’importe quelle culture polli­nisée par des abeilles. »

Sue Willis Chan, direc­trice du projet Bee Vecto­ring à l’Université de Guelph, estime que le processus est appli­cable à toutes les cultures dépen­dant de la polli­ni­sa­tion.

Dissé­mi­na­tion natu­relle

Le concept, testé pour la première fois à l’Université de Guelph dans les années 1990, est simple. Des fongi­cides biolo­giques sont mélangés à une poudre, placée dans des cartouches conçues pour s’insérer dans des ruches de bour­dons ou d’abeilles à miel. En sortant, les insectes emportent un peu du mélange dans leurs poils. Lorsque ils se posent ensuite sur une fleur, le fongi­cide est libéré et la protège contre des patho­gènes comme le botrytis (pour­ri­ture grise). D’autres polli­ni­sa­teurs pour­suivent la diffu­sion en volant de fleur en fleur.

Ces agents de lutte biolo­gique sont parti­cu­liè­re­ment effi­caces en serre à atmo­sphère contrôlée, évalue Susan Willis Chan, mais leur effi­ca­cité est encore moins bien connue en exté­rieur, notam­ment sur des cultures comme les frai­siers. Une étude en cours vise à mesurer l’efficacité de la méthode et à s’assurer que les produits n’ont pas d’effets néfastes sur les abeilles sauvages et autres polli­ni­sa­teurs.

Lutte contre la pour­ri­ture grise

À ce jour seule une société cana­dienne (Bee Vector Tech­no­logy, BVT), met en vente un produit homo­logué par l’Agence de protec­tion de l’environnement des États-Unis, pour un usage en plein champ dans les prin­ci­pales régions améri­caines produc­trices de petits fruits. Seuls quelques exem­plaires sont actuel­le­ment en service, mais le direc­teur général de BVT, Ashish Malik, s’attend à un déve­lop­pe­ment rapide cette année. L’homologation du système en Suisse et au Mexique est attendu pour 2021, et l’entreprise vise égale­ment une auto­ri­sa­tion dans l’UE et au Canada.

« Notre système utilise les abeilles pour inter­rompre le cycle de pour­ri­ture grise en dépo­sant une souche de Clonos­ta­chys rosea, BVT-CR7, asso­ciée à un diluant appelé Vecto­rite, direc­te­ment à la source de l’infection sur les fleurs », indique Ashish Malik. « L’application étant très ciblée, elle est parti­cu­liè­re­ment effi­cace. Il n’y a aucun gaspillage de produit. Nous avons pu prouver qu’il était possible de réduire la quan­tité de produit à hauteur de 98 % au cours de la période de floraison. De plus, le CR7 est un produit biolo­gique. Il peut être utilisé tant dans la produc­tion de petits fruits conven­tion­nelle que biolo­gique. »

 

Le produit est placé dans des cartouches que les abeilles doivent traverser en quit­tant leur ruche.

L’atout prin­cipal de la vecto­ri­sa­tion par les abeilles est sa simpli­cité. En pratique, elle diffère peu de ce que font déjà les produc­teurs qui ont recours à des ruches pour la polli­ni­sa­tion. Mais elle peut retarder l’application fongi­cide sur une culture telle que les frai­siers de 7 à 14 jours pour le contrôle de la pour­ri­ture grise.

Un coût infé­rieur à la pulvé­ri­sa­tion

« La vecto­ri­sa­tion par les abeilles devrait permettre de réduire les frais de machi­nisme, de carbu­rant, d’eau et de main-d’œuvre asso­ciés aux trai­te­ments fongi­cides sur ces cultures », estime la cher­cheuse Susan Willis Chan. « Ce sont les abeilles qui font tout le travail. Les produits de lutte biolo­gique coûtent cher et ont une courte durée d’efficacité ; mais les abeilles ne les diffusent pas au petit bonheur, elles les appliquent direc­te­ment, en continu, et là où ils sont néces­saires. »

La vecto­ri­sa­tion par les abeilles devrait permettre de réduire les frais de machi­nisme, de carbu­rant, d’eau et de main-d’œuvre asso­ciés aux trai­te­ments fongi­cides.

Sue Willis Chan

Les cartouches de Vecto­rite de BVT doivent être rempla­cées tous les quatre jours durant la floraison, mais les abeilles utilisent le produit si effi­ca­ce­ment que le prix à l’hectare reste en dessous des méthodes tradi­tion­nelles de pulvé­ri­sa­tion. Outre cette économie, les culti­va­teurs auraient fait état de gains de rende­ments de 28 à 30 % en myrtilles, selon BVT, le diamètre des fruits sur les plants traités étant 10 à 11 % plus impor­tant que celui des fruits soumis à des programmes de pulvé­ri­sa­tion tradi­tion­nels.

Autre avan­tage a priori : les produits biolo­giques appli­qués par les abeilles présentent un délai zéro de sécu­rité après trai­te­ment. Il est possible de récolter ou d’effectuer d’autres tâches dans les champs pendant que les abeilles travaillent. Un atout pour les produc­teurs de fraises, pour qui le délai de sécu­rité va géné­ra­le­ment de quatre heures à deux jours avec des produits conven­tion­nels.

L’étude de Susan Willis Chan teste actuel­le­ment plusieurs modi­fi­ca­tions de ruches d’abeilles à miel pour la vecto­ri­sa­tion par les abeilles. BVT est la seule société ayant obtenu l’approbation pour commer­cia­liser cette solu­tion en vue d’un usage de plein champ aux États-Unis.

Pas une solu­tion miracle

Atten­tion néan­moins, met en garde Susan Willis Chan, la vecto­ri­sa­tion par les abeilles n’est pas une solu­tion miracle. Déjà, la tech­nique n’est évidem­ment effi­cace que sur les mala­dies (ou insectes, dans le cas de futurs trai­te­ments insec­ti­cides) qui affectent les fleurs, et pas contre celles touchant les feuilles, la tige ou les racines. Il existe égale­ment une certaine varia­bi­lité entre les ruches. Les abeilles sont intel­li­gentes, et certaines colo­nies passent beau­coup de temps à éjecter la solu­tion du récep­tacle sur le sol devant leur ruche.

Autre problème, les abeilles n’aiment pas butiner sous la pluie. Dès lors, en cas de longue période de préci­pi­ta­tions, elles seront moins enclines à ache­miner les agents de lutte biolo­gique vers les fleurs. « Je peux imaginer que les produc­teurs mettront au point un système qui offre les avan­tages des deux approches, prévoit Willis Chan. « Ils pour­raient pulvé­riser fongi­cides et insec­ti­cides avant la floraison, et puis passer à la vecto­ri­sa­tion par les abeilles. Cela élimi­ne­rait toute possi­bi­lité d’avoir des résidus de fongi­cide ou d’insecticide sur les fruits, aucun fongi­cide n’étant appliqué durant la floraison ni la fruc­ti­fi­ca­tion. De plus, cela corres­pon­drait à une réduc­tion totale consé­quente des quan­tités de produits utilisés. Ça pour­rait être une bonne solu­tion. »