Depuis 2024, Lars Andersson, éleveur de poulets à Bankeberg, en Suède, livre 1 500 t/an de fumier à une centrale de méthanisation. « Dans mon bilan, le fumier ne sera désormais plus classé dans les charges, mais sera une source de revenus », se félicite le producteur. Actuellement, il dispose d’une autorisation de stockage du fumier sous abri de dix mois, à l’issue duquel il doit s’en débarrasser, ce qui supposait jusqu’ici de longs transports, sans retour économique.
La méthanisation est opérée par l’entreprise Biokraft, qui communique un rendement énergétique annuel de 125 GWh pour ce site. Le fumier de Lars sera collecté huit fois par an ; il envisage ainsi de développer sa production de poulets. « Je récupèrerai une certaine quantité de digestat, mais le contrat prévoit aussi une contrepartie financière. » Car celui-ci fait de lui un associé de la société Biokraft ; l’aviculteur percevra des dividendes sur les futurs bénéfices.
Mon lisier sera désormais une source de revenus.
Lars Andersson
« Pour moi qui suis éleveur de poulets, c’est motivant et intéressant de faire partie à une telle opération », indique Lars, lors d’une visite de l’immense unité de méthanisation. Selon Christian Strandberg, responsable de projet lors de la construction, celle-ci produira à terme l’énergie équivalente à 12 millions de litres de gazole sous forme de biogaz liquéfié pur à 100 %, pour des clients résidant en Suède et à l’étranger. À l’instar de la plupart des grandes centrales de production de biogaz construites aujourd’hui, celle de Biokraft mise sur l’effluent comme principale matière première, à hauteur d’au moins 80 % des 260 000 tonnes du substrat consommé en production à plein régime. Les 20 % restants se composent de déchets issus de l’industrie agroalimentaire.
Des pipelines pour le lisier
À Alböke, sur l’île d’Öland, le producteur laitier Stig Bertilsson, avec 50 autres éleveurs et des associés non-agriculteurs, ont investi dans la construction d’un réseau de pipelines partant de plusieurs exploitations et destiné au transport du lisier sur longues distances. Celui-ci sera acheminé vers un digesteur de l’entreprise néerlandaise OrangeGas, après quoi le biofertilisant raffiné sera redirigé vers les fermes. Les producteurs ont participé à hauteur de 16 millions de couronnes (près de 1,4 million d’euros) à la construction du digesteur. À partir de ce site, le gaz brut (avec une teneur en méthane de 60-65 %) sera vendu à une usine de traitement, détenue et exploitée par OrangeGas, qui produit du biogaz liquéfié.
Depuis leur ferme d’Alböke, Stig et son fils Mattias fourniront ainsi 15 000 t de lisier issu de leurs 800 vaches laitières, sur 240 000 tonnes d’effluent au total. L’usine fonctionnera à 100 % avec du lisier. D’autres projets choisissent de construire des centrales de codigestion et intègrent des substrats différents, comme des déchets de l’industrie agroalimentaire, afin d’augmenter la teneur énergétique.


Bon engrais organique
« Nous pourrions produire du gaz uniquement à partir de fumier ou de lisier, mais les volumes seraient moindres », explique Denniz Erol, PDG de More Biogas, entreprise créée il y a dix ans. La composition et la qualité des substrats qui entrent dans cette production énergétique ont un impact sur la qualité du gaz, mais aussi sur celle de l’engrais qui revient aux agriculteurs. Daniel Juneberg, éleveur porcin et associé de More Biogas, cultive également 350 ha de colza et de blé. Il se dit satisfait du fertilisant qu’il récupère. « Il affiche un bon équilibre entre la partie liquide du digestat et l’azote, ce qui permet d’augmenter la disponibilité de cet élément fertilisant. Il est facile à épandre et quasiment inodore. Nos voisins constatent que les problèmes de mouches ont disparu », ajoute-t-il.
Le fertilisant que nous récupérons est souvent de meilleure qualité que les engrais industriels.
Per-Göran Sigfridsson

Si l’intérêt environnementale de l’épandage du digestat ne fait pas question, les avantages agronomiques sont non-négligeables selon Per-Göran Sigfridsson, également éleveur de porcs : « Il est aussi qualitatif, et parfois même meilleur, que l’engrais commercial que nous achetions. Sa teneur en azote et en phosphore est supérieure, et l’azote plus disponible. Nous avons quasiment divisé par deux nos achats d’engrais industriel. »
Les nouvelles installations de production de biogaz extraient en outre le phosphore durant la digestion, ce qui permet aux éleveurs d’augmenter leur production sans accroître leurs surfaces cultivées, le phosphore étant un facteur limitant ; la réglementation autorise un épandage maximum de 22 kg/ha/an. « Cela nous permet de vendre du phosphore aux régions céréalières qui en ont le plus besoin », complète l’éleveur laitier Stig Bertilsson.
Soutien politique
La demande en biogaz pour les véhicules lourds et l’industrie est actuellement en forte progression en Suède, et un filon pourrait se profiler avec le secteur très énergivore de la marine qui s’y intéresse sérieusement. Cerise sur le gâteau : les acteurs politiques apportent un très fort soutien à l’industrie du biogaz à la fois en Suède et dans l’UE, alors qu’une alternative au gaz naturel de manière générale, et au gaz naturel russe en particulier, doit être trouvée.
Le programme suédois Klimatklivet (Un élan pour le climat) offre ainsi une aide à l’investissement de 150 millions de couronnes suédoises (environ 13 millions d’euros) maximum pour une centrale de méthanisation. À quoi s’ajoute une prime de 0,4 couronne/kg (environ 35 €/t) pour le gaz produit à partir de fumier ou de lisier. Erik Woode, responsable de la production de biogaz pour le gazier finlandais Gasum, note que la présidente de la Commission Européenne Ursula von der Leyen visait une production 350 TWh de biogaz d’ici 2030 dans le cadre du programme RePowerEU.

La concurrence va faire rage pour les matières premières.
Erik Woode
Fournisseurs de matière première
Tous les producteurs de biogaz suédois ne proposent pas aux agriculteurs de devenir membre de la société ; dans le cas de l’entreprise Gasum, les exploitants endossent le rôle de fournisseurs de matière première. Dag Arvidsson, producteur porcin et bovin laitier en AB, est l’un des quelque 50 agriculteurs sous contrat qui fourniront du lisier à l’usine de biogaz liquéfié de 120 GWh de Gasum, installée dans la municipalité de Göten et en production depuis septembre dernier. Gasum prévoit la construction de quatre sites supplémentaires. Dag Arvidsson livrera 30 000 tonnes de lisier produit par ses 5 000 porcs et ses 500 vaches laitières, sur les 400 000 tonnes de substrat que l’usine consommera chaque année. Une situation avantageuse pour lui : « J’apprécie le fait de participer à une initiative environnementale positive, de produire du carburant à partir d’un substrat existant et d’obtenir un meilleur engrais en retour. C’est très encourageant. »
Concurrence à la hausse
L’industrie biogazière envisageait à ses débuts de se limiter à un échange de bons procédés (fumier et lisier contre digestat) avec les agriculteurs, mais l’augmentation de la demande en effluents a changé la donne. Aujourd’hui, une forme de rémunération financière est toujours incluse dans les contrats, souvent établis sur le long terme (jusqu’à 20 ans). Ce marché connaît donc une évolution qui profitera aux agriculteurs : « Nous avons commencé il y a 12 ans, pendant les neuf premières années, la demande était inexistante », note Dag Arvidsson, dont les fosses à lisier sont pleines et prêtes pour les premières livraisons.
Production d’effluents en Suède (2022)
Espèce animale | Cheptel national | Qté de fumier/lisier en kg/animal/an |
---|---|---|
Bovidés | 1,389,500 | 10,950 |
Porcs | 1,393,000 | 613 |
Volaille | 18,229,000 | 13 |
Chevaux | 333,500 | 9,000 |
Source : Chambre d’agriculture suédoise
Des substrats convoités
Beaucoup d’éleveurs font toujours le choix de construire leurs propres unités de méthanisation et de générer leur propre électricité, et le consultant industriel Stefa Halldorf estime que près de 140 installations de ce type verront le jour en Suède dans les prochaines années. Autrefois initiateurs de tels projets, les agriculteurs sont désormais sollicités par les producteurs de gaz désireux de signer des contrats de longue durée avec eux pour justifier leurs investissements dans des usines de plusieurs millions d’euros. « Ce n’est pas un problème pour nous », commente Lars Andersson. « L’agriculture mise toujours sur le long terme – et pour nous, le long terme, c’est 70 ans, pas 5 ans. »
Le marché des flux de substrats issus de l’industrie agroalimentaire, qui offrent des valeurs énergétiques plus élevées, existe déjà et les producteurs de biogaz y sont en concurrence avec des secteurs comme l’industrie de l’alimentation animale. En Suède, fumier et lisier deviennent cependant de plus en plus précieux en raison de l’expansion considérable de l’industrie du biogaz, qui ne peut plus se reposer sur les cultures de qualité alimentaire. « Nous le constatons déjà, et il devient de plus en plus clair que la concurrence fait rage pour les matières premières », souligne Erik Woode de l’entreprise Gasum.
Des effluents au biogaz
Fumier et lisiers sont aujourd’hui les principaux substrats dans la production de biogaz suédois. Les autres sources proviennent de l’industrie agroalimentaire et des déchets ménagers. Le fumier commence par entamer un processus de fermentation dans un digesteur pour produire du gaz brut, un gaz doté d’une teneur en méthane atteignant 65 % (le reste étant du dioxyde de carbone).
Durant le raffinage, pour obtenir du bioGNV ou du biogaz liquéfié, la teneur en méthane est augmentée pour atteindre un minimum de 97 %. La teneur en méthane dans le biogaz chimiquement pur est au minimum de 99 %. Le gaz peut ensuite être transformé en biogaz liquéfié en comprimant son volume 600 fois. La valeur énergétique de celui-ci est équivalente à celle du gaz naturel, et environ 1,5 fois supérieure à celle des carburants fossiles.
Source : Industrie du biogaz