default

Au Royaume-Uni, des serres décar­bo­nées

Avec une demande crois­sante en produits frais et des consom­ma­teurs réfrac­taires à la saison­na­lité, les impor­ta­tions anglaises restent hautes dans l’après-Brexit. Le Royaume-Uni cherche à réduire sa dépen­dance aux denrées conti­nen­tales, coûteuses en CO2. Visite d’un projet de serres à faible empreinte dans l’est du pays.

Basé dans la région de l’Est-Anglie, ce projet de serre commer­ciale à faible émis­sion de carbone vise une produc­tion agri­cole durable à haut rende­ment – pour un inves­tis­se­ment de 120 millions de livres ster­ling (140 millions d’euros).

Les 28,3 ha de serres, conçues par l’entreprise Low Carbon Farming, seraient capables de produire 12 % de la demande en tomates du Royaume-Uni, tout en émet­tant quatre fois moins que des serres tradi­tion­nelles, grâce notam­ment à l’utilisation d’énergies renou­ve­lables et à une économie circu­laire.

« Il s’agit de fournir une preuve de concept, essen­tiel à la sécu­rité alimen­taire post-Brexit, et à atteindre les objec­tifs de réduc­tion de carbone à l’horizon 2030 », explique Mark Dykes, qui gère le projet. « La construc­tion a commencé en septembre 2019. Il a fallu 14 mois pour achever les serres et le système de pompe à chaleur, et six mois pour les travaux routiers. »

Un envi­ron­ne­ment contrôlé

Hautes de sept mètres, les serres sont répar­ties sur deux sites, Crown Point Estate et Ingham, offrant respec­ti­ve­ment 16 ha et 13 ha d’espace de culture. « Nous avons deux serres de 8 ha à Crown Point Estate et une seule à Ingham », explique Mark Dykes. Chaque site possède plus de cinq kilo­mètres de cana­li­sa­tions souter­raines et plus de verre que la tour Shard à Londres.

Construites par le néer­lan­dais BOM Group, ces struc­tures offrent un envi­ron­ne­ment de culture contrôlé, en hydro­ponie dans une solu­tion aqueuse riche en nutri­ments. Actuel­le­ment (juin 2021), elles accueillent des tomates, des concombres et des poivrons empilés verti­ca­le­ment sur un total de 177 km de gout­tières hors-sol. Comparée à une culture de plein champ, une telle concep­tion permet de faire pousser 10 fois plus avec 10 fois moins d’eau.

Chaque serre dispose de 16 zones qui peuvent être chauf­fées indé­pen­dam­ment, ainsi que de trois cloi­sons pouvant être ouverts ou fermés pour isoler diffé­rentes zones. « Cela permet de mieux gérer les diffé­rents stades de crois­sance et les diffé­rentes cultures, et signifie que nous pouvons récolter tout au long de l’année. En moyenne, quatre récoltes par an sont possibles, mais cela dépendra du type de produc­tions et de la rota­tion. La première récolte a été effec­tuée en mai 2021. »

Les ordi­na­teurs contrôlent l’environnement de culture via un programme d’intelligence arti­fi­cielle et prennent en compte des données météo­ro­lo­giques. Les toits sont conçus pour maxi­miser l’ensoleillement et le verre diffus disperse unifor­mé­ment la lumière. « Ce contrôle strict des serres garantit la biosé­cu­rité, une crois­sance saine et cohé­rente des cultures. »

Sur le site du projet, des gout­tières de culture hydro­po­nique.

Trans­fert de chaleur

Mais c’est surtout l’ingénierie des ressources qui permettra de produire avec 75 % d’émissions de moins que des serres commer­ciales clas­siques. Les sites ont été sélec­tionnés pour leur proxi­mité avec des instal­la­tions de trai­te­ment des eaux usées. « La chaleur est extraite des effluents grâce à un système de trans­fert de chaleur avant d’être trans­portée sur deux kilo­mètres. Des pompes à chaleur géother­miques sont aussi présentes sur les sites où sont instal­lées les serres », explique Mark Dykes.

Les accu­mu­la­tions ther­miques maxi­males sont de 32 MW à Crown Point et de 26 MW à Ingham, portant la tempé­ra­ture de la serre à 13°C. Ce qui équi­vaut à une puis­sance ther­mique suffi­sante à chauffer 20 000 foyers. « L’extraction de la chaleur rési­duelle est une première, et l’installation abrite le plus grand système de pompes à chaleur du Royaume-Uni. »

L’alimentation élec­trique repose large­ment sur des unités de cogé­né­ra­tion situées sur place, qui fonc­tionnent avec une capa­cité de 3,6 MW et 2,4 MW, respec­ti­ve­ment. « L’électricité produite en cogé­né­ra­tion couvre environ 85 % des besoins du site. »

L’électricité produite par les unités de cogé­né­ra­tion couvre environ 85 % des besoins du site.

Mark Dykes

Ces unités permettent aussi d’élever la tempé­ra­ture des serres en cas de besoin. « La chaleur générée par cogé­né­ra­tion est captée et injectée dans des réser­voirs de stockage d’eau chaude, ce qui permet d’atteindre des tempé­ra­tures en serre allant jusqu’à 26,6°C. »

Les sites sont égale­ment équipés pour capter et puri­fier le dioxyde de carbone qu’ils émettent. Celui-ci est réin­jecté dans les serres pour répondre aux besoins de la photo­syn­thèse. Par rapport aux serres tradi­tion­nelles, les deux instal­la­tions rejettent en moyenne 1,2 Mt de carbone de moins dans l’atmosphère.

L’efficience en matière de ressource hydrique est favo­risée par la surface impor­tante des toits. « Nous captu­rons et stockons 200 000 m3 d’eau de pluie au total », précise Mark Dykes. Pour assurer un fonc­tion­ne­ment inin­ter­rompu, les sites disposent de deux chau­dières à gaz et des géné­ra­teurs de secours, ainsi que l’équivalent de deux jours de chaleur dans des réser­voirs tampons.

Vue aérienne du site de la serre à faible émis­sion de carbone à Crown Point Estate, Norwich.

 

Un nouveau concept

Ces serres offrent un nouveau concept de culture, estime Mark Dykes. « C’est un modèle repro­duc­tible : ce système peut être copié ailleurs dans le pays et offre une véri­table oppor­tu­nité d’augmenter la produc­tion locale. »

Ce modèle est repro­duc­tible ailleurs, et offre des pistes pour augmenter signi­fi­ca­ti­ve­ment la produc­tion locale.

Mark Dykes

Pour­quoi des unités de produc­tion d’un tel volume ? « Cela se résume à des écono­mies d’échelle », argu­mente Mark Dykes. « L’efficacité de la produc­tion alimen­taire et l’empreinte carbone du secteur peuvent être réduites avec ces serres plus impor­tantes en surface, à faibles émis­sions. » Chaque site a créé 200 nouveaux emplois, ajoute-t-il. « L’éventail des tâches et des compé­tences requises offre de vastes possi­bi­lités. »