La numé­ri­sa­tion pour réduire l’empreinte carbone

Le profes­seur Peter Pickel, respon­sable « Tech­no­lo­gies de demain » au Centre euro­péen de tech­no­logie et d’innovation ETIC de John Deere (Kaisers­lau­tern), revient sur les stra­té­gies permet­tant d’allier agri­cul­ture produc­tive et protec­tion de l’environnement.

La numé­ri­sa­tion : voilà, proba­ble­ment, la plus grande révo­lu­tion qu’ait connu le secteur vert depuis l’avènement de la méca­ni­sa­tion. Je suis convaincu que celle-ci permettra de récon­ci­lier économie et écologie. L’agriculture a une respon­sa­bi­lité toute parti­cu­lière, en tant que l’une des causes du chan­ge­ment clima­tique, mais aussi comme élément de solu­tion. La produc­tion, l’industrie et la recherche doivent faire en sorte de réduire les émis­sions de GES. À cette fin, quatre leviers peuvent être actionnés :

  1. accroître l’efficacité des machines
  2. opti­miser l’agronomie – produire plus avec moins
  3. opti­miser l’utilisation des capa­cités des machines exis­tantes (auto­ma­ti­sa­tion – auto­no­mi­sa­tion)
  4. utiliser les éner­gies renou­ve­lables

Plus d’efficacité

Depuis que les machines agri­coles existent, les ingé­nieurs travaillent à les rendre plus effi­caces. De gros progrès ont été accom­plis, mais il faut rester réalistes. Une réduc­tion de la consom­ma­tion de carbu­rant de 1 à 3 % constitue une prouesse tech­nique, étant donné les efforts impor­tants requis pour dimi­nuer les émis­sions d’échappement. Pour l’essentiel, une telle baisse repose sur la réduc­tion des pertes de trans­mis­sion, comme nous le verrons ci-dessous avec l’exemple du trac­teur à chenilles 8RX.

Les groupes moto­pro­pul­seurs effi­caces et les chenilles John Deere 8RX à pati­nage réduit contri­buent à écono­miser du carbu­rant et à réduire les émis­sions de CO2.

Opti­mi­sa­tion agro­no­mique

Dans le bilan carbone total de l’agriculture, la consom­ma­tion de carbu­rant joue un rôle de second plan. Le poten­tiel est bien plus élevé du côté des pratiques déployées en grandes cultures. La produc­tion d’engrais miné­raux, notam­ment, génère d’importantes émis­sions de GES. Dans le même temps, certaines régions enre­gistrent un excé­dent d’engrais orga­niques. Utiliser plus effi­ca­ce­ment les ressources dans ces secteurs permet­trait de réduire consi­dé­ra­ble­ment l’empreinte écolo­gique.

L’objectif doit être, avant tout, de passer d’un trai­te­ment uniforme des zones à une appli­ca­tion plus ciblée, modulée en fonc­tion de l’hétérogénéité des sols. J’aime citer l’exemple de l’industrie 4.0, où l’industrie remplace la produc­tion de masse par la produc­tion indi­vi­duelle. Dans l’agriculture, cette indi­vi­dua­li­sa­tion aura lieu à l’échelle de la plante. À l’avenir, nous tien­drons compte de chaque plante indi­vi­duel­le­ment et nous la soigne­rons en consé­quence. Ici, le plus grand défi sera de se baser sur les données, l’expérience et l’analyse pour opti­miser la ferti­li­sa­tion, la protec­tion des cultures et les autres étapes cultu­rales.

Le Centre d’opérations John Deere permet à l’opérateur d’accéder à un grand nombre de données et d’informations liées à la varia­bi­lité intra­par­cel­laire.

Utiliser toutes les capa­cités des machines

Passons main­te­nant au troi­sième levier, la meilleure utili­sa­tion des capa­cités des machines – autre­ment dit, des pertes réduites au strict minimum. Des études pratiques montrent que géné­ra­le­ment, et en parti­cu­lier dans le cas des batteuses, seuls 60 à 70 % de la puis­sance embar­quée est mise à profit. L’automatisation a néan­moins permis des progrès au cours des dernières années, avec des batteuses capables d’adapter leurs réglages et de se piloter de manière auto­nome.

La mois­son­neuse-batteuse X9 dispose d’un large éven­tail de systèmes d’assistance auto­ma­tisés, qui permettent au conduc­teur d’exploiter plei­ne­ment la puis­sance installée.

Énergie renou­ve­lables

Il s’agit d’un premier pas vers une plus grande auto­no­mi­sa­tion. Suivant le Niveau d’autonomie 3 (norme rela­tive aux voitures parti­cu­lières), la conduite auto­nome ou un meilleur fonc­tion­ne­ment auto­nome signifie que le conduc­teur de la machine peut se concen­trer plus long­temps sur d’autres tâches que le fonc­tion­ne­ment de cette dernière. Le Niveau 4 sera inté­res­sant si le manque de conduc­teurs quali­fiés s’accentue. Les condi­tions préa­lables à ce niveau, toute­fois, sont une base juri­dique corres­pon­dante et la dispo­ni­bi­lité de la 5G dans les régions rurales.

Trac­teur John Deere Multi­fuel à la « Grüne Woche » de Berlin.

Passons main­te­nant au point final, mais décisif, concer­nant la réduc­tion des gaz à effet de serre dans l’agriculture : nous y parvien­drons grâce à l’utilisation de nouvelles formes d’énergie. Tout d’abord, l’électrification.

Contrai­re­ment au secteur des voitures parti­cu­lières, les trac­teurs de moyenne gamme et haut de gamme dotés d’un moteur tout élec­trique à batterie ne seront pas dispo­nibles dans les années à venir. L’aptitude à la produc­tion de série dépend de la capa­cité des batte­ries. À ce jour, un trac­teur de 250 cv devrait être équipé d’une batterie de 10 t pour fournir suffi­sam­ment de puis­sance pour les tâches lourdes sur une journée entière – avec environ 8 heures à pleine charge sans recharger. Cepen­dant, la pres­sion exercée à l’égard de l’électrification dans l’automobile est suscep­tible d’accélérer l’innovation. Par ailleurs, l’agriculture pour­rait devenir auto­suf­fi­sante si l’électricité de ses propres unités de métha­ni­sa­tion, de ses éoliennes ou de ses instal­la­tions photo­vol­taïques était utilisée pour alimenter les machines agri­coles.

Les progrès tech­no­lo­giques du machi­nisme agri­cole permet­tront de combiner protec­tion de l’environnement et effi­ca­cité écono­mique.

Prof. Peter Pickel

Au-delà des groupes moto­pro­pul­seurs tout élec­triques, l’utilisation de carbu­rants alter­na­tifs serait un levier à plus court terme pour la  réduc­tion des émis­sions. Avec des moteurs « poly­car­bu­rants », les trac­teurs peuvent fonc­tionner non seule­ment au diesel, mais égale­ment au biodiesel, à l’huile de colza ou autre huile végé­tale non esté­ri­fiée. Ce qui permet de réduire de manière impor­tante les émis­sions de CO2 et de s’affranchir des combus­tibles fossiles – un avan­tage tant pour l’environnement que pour la tréso­rerie de l’exploitation. Néan­moins, cela suppose aussi une volonté poli­tique et des mesures d’incitation desti­nées aux exploi­tants.

Pour résumer, les progrès de la tech­no­logie agri­cole permettent de conci­lier protec­tion envi­ron­ne­men­tale et renta­bi­lité. L’agriculture peut assumer la respon­sa­bi­lité d’une produc­tion durable et respec­tueuse de l’environnement, et ainsi rega­gner la confiance de la société. Cela fait de la protec­tion envi­ron­ne­men­tale un facteur concur­ren­tiel. Consé­quence : l’optimisation de l’agriculture grâce aux tech­no­lo­gies numé­riques haute perfor­mance se pour­suit, et la pres­sion exercée sur les exploi­tants crée les condi­tions d’un envi­ron­ne­ment de crois­sance dyna­mique pour l’avenir.