Comment définissez-vous l’agriculture de précision ?
Pour moi, c’est, fondamentalement, la formulation d’une problématique agronomique et la résolution de cette problématique dans des conditions environnementales et végétales changeantes. L’agronomie doit donc rester au premier plan, et non la technologie : l’agriculture de précision, c’est partir du problème agronomique avant de s’intéresser à l’outil, et non l’inverse comme on l’a souvent fait au cours des 20 dernières années. Deuxième point, l’agriculture de précision repose sur des décisions. Celles-ci se basent sur les besoins réels des plantes, et non sur le potentiel de rendement supposé.
Quelles sont les bonnes questions à se poser au moment de « numériser » l’exploitation ?
La première est sans aucun doute : quelles sont les faiblesses du système de production qui me préoccupent le plus ? Ensuite, le producteur doit faire le point sur les informations dont il a besoin pour trouver une solution appropriée. Et enfin : quelle technologie fournit ces données et les traduit en une préconisation rigoureuse ? Au-delà, l’agriculteur doit aussi interroger sa propre attitude vis à vis du risque. Les agriculteurs qui acceptent plus facilement les risques pourront se diriger vers un processus automatisé (collection de données et application en direct), tandis que tandis que les « risquophobes » préféreront des cartes d’application préétablies.
Combien de temps faut-il, en partant de zéro, pour passer à la modulation sur toutes les étapes de la production ?
Une fois prise la décision stratégique « où commencer » (amendements, engrais de fond, semis, etc.), on progresse, procédé par procédé, à travers l’itinéraire technique. Dans le cas d’Agricon, nous proposons une formation de base d’un jour dans nos locaux, puis, pour chaque type de modulation, 2 à 6 unités de formation chez l’agriculteur : rafraîchissement des connaissances agronomiques, gestion des données et fonctionnement de la machine.
L’agriculture de précision redonne aux producteurs une souveraineté de décision.
En suivant ce schéma, chaque agriculteur est opérationnel et autonome à 95 % (sur cette modulation spécifique) au bout d’un an. C’est à mon sens une des principales vertus de l’agriculture de précision : elle redonne aux producteurs une souveraineté de décision, puisqu‘ils doivent se mettre en position de répondre à une problématique agronomique scientifiquement. Si l’objectif est, en partant de zéro, de passer à une agriculture 100 % numérique et automatisée, le processus entier de « conversion » dure environ cinq ans.
Quelles tendances observez-vous ? À quelle vitesse l’agriculture de précision progresse-t-elle sur le terrain ?
En lisant la presse on a souvent l’impression que l’agriculture de précision est déjà chose courante sur toutes les exploitations. En réalité, nous n’en sommes qu’à ses débuts. En Allemagne, un pays qui est à la pointe dans ce domaine, j’estime ainsi que seules 10 % des exploitations utilisent ces technologies de manière systématique. Même s’il est vrai que l’adoption s’accélère depuis plusieurs années.
Avec un peu d’optimisme, on peut prévoir que d’ici dix ans, nous en serons à 50 %. Il y aura sans doute un effet générationnel. Les jeunes de 25 à 35 ans qui reprennent des fermes ont grandi avec les technologies de l’information. Ils sont plus ouverts. Ils se disent : on ne va pas faire ce genre travail sur papier ou de tête.
Vous anticipez donc un changement de paradigme dans les prochaines années.
Oui, mais on peut tout aussi bien voir l’agriculture de précision comme un retour aux origines, une version high-tech de l’agriculture d’antan. Autrefois, les fermes étaient petites, l’utilisation d’intrants réduite, les propriétaires des exploitations observaient tous les phénomènes directement et décidaient eux-mêmes d’une ligne d’intervention. Unités de modulation, économie sur les apports, collecte de donnée et décision plus fine : en ce sens, l’agriculture de précision n’est que l’application rigoureuse des principes qu’utilisaient nos aînés.