« Les produc­teurs retrouvent une souve­rai­neté de déci­sion »

Comment bien démarrer en modu­la­tion, à quelle vitesse se déve­loppe l’agriculture de préci­sion sur le terrain… Peer Leithold, à la tête de la société de conseil Agricon, répond aux ques­tions du Sillon.

Comment défi­nissez-vous l’agriculture de préci­sion ?

Pour moi, c’est, fonda­men­ta­le­ment, la formu­la­tion d’une problé­ma­tique agro­no­mique et la réso­lu­tion de cette problé­ma­tique dans des condi­tions envi­ron­ne­men­tales et végé­tales chan­geantes. L’agronomie doit donc rester au premier plan, et non la tech­no­logie : l’agriculture de préci­sion, c’est partir du problème agro­no­mique avant de s’intéresser à l’outil, et non l’inverse comme on l’a souvent fait au cours des 20 dernières années. Deuxième point, l’agriculture de préci­sion repose sur des déci­sions. Celles-ci se basent sur les besoins réels des plantes, et non sur le poten­tiel de rende­ment supposé.

Quelles sont les bonnes ques­tions à se poser au moment de « numé­riser » l’exploitation ?

La première est sans aucun doute : quelles sont les faiblesses du système de produc­tion qui me préoc­cupent le plus ? Ensuite, le produc­teur doit faire le point sur les infor­ma­tions dont il a besoin pour trouver une solu­tion appro­priée. Et enfin : quelle tech­no­logie fournit ces données et les traduit en une préco­ni­sa­tion rigou­reuse ? Au-delà, l’agriculteur doit aussi inter­roger sa propre atti­tude vis à vis du risque. Les agri­cul­teurs qui acceptent plus faci­le­ment les risques pour­ront se diriger vers un processus auto­ma­tisé (collec­tion de données et appli­ca­tion en direct), tandis que tandis que les « risquo­phobes » préfé­re­ront des cartes d’application prééta­blies.

Combien de temps faut-il, en partant de zéro, pour passer à la modu­la­tion sur toutes les étapes de la produc­tion ?

Une fois prise la déci­sion stra­té­gique « où commencer » (amen­de­ments, engrais de fond, semis, etc.), on progresse, procédé par procédé, à travers l’itinéraire tech­nique. Dans le cas d’Agricon, nous propo­sons une forma­tion de base d’un jour dans nos locaux, puis, pour chaque type de modu­la­tion, 2 à 6 unités de forma­tion chez l’agriculteur : rafraî­chis­se­ment des connais­sances agro­no­miques, gestion des données et fonc­tion­ne­ment de la machine.

L’agriculture de préci­sion redonne aux produc­teurs une souve­rai­neté de déci­sion.

En suivant ce schéma, chaque agri­cul­teur est opéra­tionnel et auto­nome à 95 % (sur cette modu­la­tion spéci­fique) au bout d’un an. C’est à mon sens une des prin­ci­pales vertus de l’agriculture de préci­sion : elle redonne aux produc­teurs une souve­rai­neté de déci­sion, puisqu‘ils doivent se mettre en posi­tion de répondre à une problé­ma­tique agro­no­mique scien­ti­fi­que­ment. Si l’objectif est, en partant de zéro, de passer à une agri­cul­ture 100 % numé­rique et auto­ma­tisée, le processus entier de « conver­sion » dure environ cinq ans.

Quelles tendances observez-vous ? À quelle vitesse l’agriculture de préci­sion progresse-t-elle sur le terrain ?

En lisant la presse on a souvent l’impression que l’agriculture de préci­sion est déjà chose courante sur toutes les exploi­ta­tions. En réalité, nous n’en sommes qu’à ses débuts. En Alle­magne, un pays qui est à la pointe dans ce domaine, j’estime ainsi que seules 10 % des exploi­ta­tions utilisent ces tech­no­lo­gies de manière systé­ma­tique. Même s’il est vrai que l’adoption s’accélère depuis plusieurs années. 

Avec un peu d’optimisme, on peut prévoir que d’ici dix ans, nous en serons à 50 %. Il y aura sans doute un effet géné­ra­tionnel. Les jeunes de 25 à 35 ans qui reprennent des fermes ont grandi avec les tech­no­lo­gies de l’information. Ils sont plus ouverts. Ils se disent : on ne va pas faire ce genre travail sur papier ou de tête.

Agricon, 100 sala­riés, propose aux fermes de prendre en main la gestion de leurs données agri­coles, pour laquelle l’entreprise a déve­loppé son propre logi­ciel. Peer Leithold (2e en partant de la g.) a fondé l’entreprise en 1997.

Vous anti­cipez donc un chan­ge­ment de para­digme dans les prochaines années.

Oui, mais on peut tout aussi bien voir l’agriculture de préci­sion comme un retour aux origines, une version high-tech de l’agriculture d’antan. Autre­fois, les fermes étaient petites, l’utilisation d’intrants réduite, les proprié­taires des exploi­ta­tions obser­vaient tous les phéno­mènes direc­te­ment et déci­daient eux-mêmes d’une ligne d’intervention. Unités de modu­la­tion, économie sur les apports, collecte de donnée et déci­sion plus fine : en ce sens, l’agriculture de préci­sion n’est que l’application rigou­reuse des prin­cipes qu’utilisaient nos aînés.