Une charrue pour le stockage du carbone

Visant d’abord à améliorer les sols et les rende­ments, la méthode « appro­fon­dis­se­ment partiel de la couche arable » a été déve­loppée en RDA dans les années 1950. Elle fait aujourd’hui son retour avec un projet conjoint du centre alle­mand ZALF et à l’équipementier Lemken. Les premiers résul­tats mettent en évidence un gain de produc­ti­vité non-négli­geable, associé à un bon bilan clima­tique.

Améliorer la ferti­lité, lutter contre le compac­tage et séques­trer le carbone, c’est le triple objectif de la charrue « carbon farming ». Dans le cadre de deux projets de recherche financés par le minis­tère fédéral alle­mand de l’alimentation et de l’agriculture, cet outil a été conçu par l’équipementier Lemken en colla­bo­ra­tion avec le centre Leibniz de recherche sur les paysages agri­coles (ZALF). Elle comporte des corps clas­siques alter­nant avec des corps « CF » opérant un travail plus en profon­deur.

Avant l’approfondissement partiel 

Situa­tion de départ

Le but de l’approfondissement partiel d’émietter la terre tassée et d’augmenter ainsi la ferti­lité du sol, en mélan­geant le sous-sol à la terre humi­fère. Celle-ci n’est pas enfouie sur toute la zone, mais seule­ment sur certaines sections, dans des canaux espacés d’une distance d’environ 75 cm. En pratique, ce travail partiel a déjà prouvé son intérêt dans les sols sablon­neux ou des limons sableux en zone de moraines. La terre est dès lors moins sensible au compac­tage grâce à sa forte teneur en humus.

Après l‘approfondissement partiel 

Décom­pac­tage

La méthode revient à effec­tuer un sous-solage permet­tant de lutter contre le tasse­ment profond : les racines de plantes accèdent ainsi plus faci­le­ment aux ressources, en parti­cu­lier à l’eau présente dans le sous-sol. Après une durée 10 ans, la méthode peut être répétée, d’abord en déca­lant les canaux, et 10 ans plus tard, en passant à angle droit par rapport à l’opération initiale.

Effets de l’approfondissement partiel

Situa­tion en avril 2023

Les analyses basées sur les tech­no­lo­gies satel­lite permettent aux agri­cul­teurs de surveiller la santé et la crois­sance des plantes et conviennent parti­cu­liè­re­ment bien à l’agriculture de préci­sion. Dans le cadre du projet « Carbon­Tillage », des images satel­lite d’un champ de maïs ont été prises après l’approfondissement partiel de la couche arable, en vue d’étudier son effet sur le rende­ment. La bande sombre marque la zone du champ où le labour profond a eu lieu.

Effets de l’approfondissement partiel

Situa­tion en octobre 2023

Six mois plus tard, une diffé­rence signi­fi­ca­tive de produc­ti­vité a pu être mesurée : sur la carte de rende­ment du maïs (élevé = vert, moyen = jaune, faible = rouge), la bande travaillée par la charrue carbon farming se détache clai­re­ment.

Lors du labour, des canaux d’environ 10 cm de large sont créés, avec un espa­ce­ment de 75 cm et sur une profon­deur allant jusqu’à 55 cm. Ils se remplissent avec la terre arable du dessus, tandis que le sol profond est déplacé vers la couche supé­rieure. Le processus équi­vaut à un échange d’environ 20 % entre la couche arable et le sous-sol, tout en émiet­tant les zones tassées situées sous l’horizon norma­le­ment travaillé. Ce décom­pac­tage, associé à l’apport de terre végé­tale humi­fère, permet aux racines des plantes d’explorer des hori­zons plus profonds et d’y puiser les nutri­ments et l’eau dispo­nibles.

Michael Sommer, scien­ti­fique spécia­liste des sols au ZALF, a lancé en 2022 le projet « Carbon Tillage » en coopé­ra­tion avec le fabri­cant Lemken.

Michael Sommer, scien­ti­fique spécia­liste des sols au ZALF, est affecté au projet « Carbon Tillage » depuis 2022. « Nous avons pu prouver une augmen­ta­tion stable du rende­ment de 3 à 5 q/ha en céréales, suite à un appro­fon­dis­se­ment partiel de la couche arable qui visait à favo­riser la séques­tra­tion de carbone », indique–t-il. Déjà observé dans les années 1960 et 1980, cet effet sur la produc­ti­vité, allant jusqu’à 5 % de gain de rende­ment la première année, a ainsi été confirmé par les essais actuels du ZALF.

Un labour vertueux

L’humus est composé d’environ 50 % de carbone, faisant des sols humi­fères un impor­tant puits de carbone naturel. Lors de la photo­syn­thèse, le CO2 est capté dans l’atmosphère pour former la biomasse des plantes ; le carbone pénètre ensuite dans le sol via les racines, les résidus de récolte, les parties mortes des plantes, les exsu­dats et les produits de décom­po­si­tion micro­bienne.

En s’appuyant sur ce méca­nisme naturel, l’approfondissement partiel du sol serait à même d’accroître la quan­tité de carbone stockée dans la plupart des types de sol agri­coles. En mélan­geant le sous-sol, pauvre en carbone, et la couche supé­rieure, qui en est riche, se crée un déséqui­libre dans le bilan carbone du sol : la terre arable n’est plus saturée.

Le sous-sol mélangé à la couche de surface se trans­forme en nouvelle terre arable dans les 10 ans suivant l’approfondissement partiel.

Marisa R. Gerriets, docto­rante affectée au centre Leibniz de recherche sur les paysages agri­coles (ZALF), travaille sur les projets de travail du sol partiel depuis 2019.

Dans les 10 annnés suivantes, les composés carbonés s’accumuleront ainsi jusqu’à atteindre l’équilibre. Cette accu­mu­la­tion se fera grâce aux oxydes de fer, aux miné­raux argi­leux et aux ions calcium présents dans le sol. « Le sous-sol mélangé à la terre de surface se trans­forme en nouvelle terre arable dans les 10 ans après l’approfondissement partiel. Le carbone se retrouve ainsi séquestré : cette méthode crée un puits de CO2 », décrit Marisa Gerriets, qui travaille sur le sujet dans le cadre de sa thèse de doctorat.

Un projet du temps de l’Allemagne de l’Est

Appelée à l’époque « labour par segments », cette approche a vu le jour en RDA à la fin des années 1950. L’objectif était alors d’augmenter la stabi­lité et le niveau des rende­ments. Durant les décen­nies suivantes, des char­rues spéciales et des outils de prépa­ra­tion du lit de semence ont été employés à cette fin en grandes cultures, prin­ci­pa­le­ment sur des sols de moraines, mais aussi dans des zones de lœss isolées. Leur usage s’intensifie à partir du milieu des années 1980 et jusqu’à la réuni­fi­ca­tion alle­mande.

L’évolution des outils d’approfondissement partiel des années 1960 à aujourd’hui

La première charrue « segmentée » a été déve­loppée dès les années 1960.
La gamme d’équipements d‘approfondissement partiel a été élargie dans les années 1970, incluant notam­ment des sous-soleuses avec socs à ailettes.
Dans les années 1980, Andreas Baur, ingé­nieur au centre de recherche de la ferti­lité des sols de Münche­berg, a déve­loppé la charrue …
… qui constitue la base du modèle « carbon farming » de Lemken.

Dans le cadre du projet « Krumen­senke » (en alle­mand : „puits de terre arable“), les cher­cheurs du ZALF ont réou­vert les canaux créés à l’époque pour les examiner. Même après 40 ans, ceux-ci sont toujours clai­re­ment iden­ti­fiables. Sur la base d’échantillons de sols datant des années 1980, ils ont déter­miné la teneur en carbone de la terre humi­fère de l’époque, et analysé la dégra­da­tion du carbone qui a eu lieu dans l’intervalle.

Les chiffres montrent, dans la couche arable, une teneur en carbone supé­rieure à celle des années 1980. Par ailleurs, plus de 50 % du niveau de carbone initial est toujours présent dans les canaux. L’augmentation du taux d’humus se main­tient donc sur la durée, avec un bilan carbone positif. Les sols sablon­neux peuvent stocker 10 tonnes de CO2éq/ha de façon perma­nente sur 10 ans après cette opéra­tion, et la séques­tra­tion peut aller jusqu’à 30 tonnes de CO2éq/ha en sols limo­neux. Des bons résul­tats, qui laissent entre­voir une contri­bu­tion signi­fi­ca­tive à la protec­tion du climat, même en tenant compte du fait que seuls 50 % environ de la sole alle­mande de grandes cultures est adaptée à ce type de pratiques.

De la charrue segmentée à la charrue « carbon farming »

La charrue déve­loppée par Lemken juxta­pose deux types de corps de charrue : le corps carbon farming (« corps CF ») creuse le canal, profond de 55 cm et large de 25 cm. Un corps stan­dard, affi­chant une profon­deur de travail de 25 cm et une largeur de 50 cm, remplit ensuite le canal de terre humi­fère. Lors de la concep­tion de l’outil, Lemken s’est basé sur les résul­tats des recherches du ZALF pour déter­miner préci­sé­ment les moda­lités de dépla­ce­ment du sol.

Andre Hahn, respon­sable produit en charge des char­rues et des rouleaux chez Lemken, travaille sur le projet de charrue « carbon farming ».

Selon Andre Hahn, respon­sable produit spécia­lisé dans les char­rues chez Lemken, « le défi prin­cipal lors du déve­lop­pe­ment de la charrue était de déve­lopper un outil capable de mélanger la terre humi­fère et le sous-sol dans les bonnes propor­tions, sans épandre du sous-sol à la surface du champ, ce qui nuirait à l’implantation. La solu­tion réside dans la géomé­trie des corps. Nous avons investi de nombreuses heures dans des essais de terrain et nous avons testé de plusieurs combi­nai­sons d’outils pour que la charrue soit parfaite. » À titre d’exemple, la charrue utilise actuel­le­ment un versoir large pour remplir de terre humi­fère le canal créé par le corps CF.

Du côté de la trac­tion néces­saire, elle varie selon les condi­tions mais peut doubler sur les sols qui n’ont par fait l’objet d’un sous-solage depuis long­temps. La charrue agri­cole à carbone de Lemken est actuel­le­ment en phase de pré-série ; le lance­ment en série est attendu pour 2026.

Le projet « Carbon Tillage »

Fondé par le Parte­na­riat alle­mand d’innovation (DIP) de l’agence fédé­rale pour l’agriculture et l’alimentation (BLE) à l’aide de fonds apportés par le minis­tère fédéral de l’alimentation et de l’agriculture (BMEL).

Durée du projet

D’avril 2022 à juillet 2025

Parte­naires

LEMKEN GmbH, Agra­thaer GmbH
Centre Leibniz de recherche sur les paysages agri­coles (ZALF)