Améliorer la fertilité, lutter contre le compactage et séquestrer le carbone, c’est le triple objectif de la charrue « carbon farming ». Dans le cadre de deux projets de recherche financés par le ministère fédéral allemand de l’alimentation et de l’agriculture, cet outil a été conçu par l’équipementier Lemken en collaboration avec le centre Leibniz de recherche sur les paysages agricoles (ZALF). Elle comporte des corps classiques alternant avec des corps « CF » opérant un travail plus en profondeur.
Avant l’approfondissement partiel
Situation de départ
Le but de l’approfondissement partiel d’émietter la terre tassée et d’augmenter ainsi la fertilité du sol, en mélangeant le sous-sol à la terre humifère. Celle-ci n’est pas enfouie sur toute la zone, mais seulement sur certaines sections, dans des canaux espacés d’une distance d’environ 75 cm. En pratique, ce travail partiel a déjà prouvé son intérêt dans les sols sablonneux ou des limons sableux en zone de moraines. La terre est dès lors moins sensible au compactage grâce à sa forte teneur en humus.
Après l‘approfondissement partiel
Décompactage
La méthode revient à effectuer un sous-solage permettant de lutter contre le tassement profond : les racines de plantes accèdent ainsi plus facilement aux ressources, en particulier à l’eau présente dans le sous-sol. Après une durée 10 ans, la méthode peut être répétée, d’abord en décalant les canaux, et 10 ans plus tard, en passant à angle droit par rapport à l’opération initiale.
Effets de l’approfondissement partiel
Situation en avril 2023
Les analyses basées sur les technologies satellite permettent aux agriculteurs de surveiller la santé et la croissance des plantes et conviennent particulièrement bien à l’agriculture de précision. Dans le cadre du projet « CarbonTillage », des images satellite d’un champ de maïs ont été prises après l’approfondissement partiel de la couche arable, en vue d’étudier son effet sur le rendement. La bande sombre marque la zone du champ où le labour profond a eu lieu.
Effets de l’approfondissement partiel
Situation en octobre 2023
Six mois plus tard, une différence significative de productivité a pu être mesurée : sur la carte de rendement du maïs (élevé = vert, moyen = jaune, faible = rouge), la bande travaillée par la charrue carbon farming se détache clairement.
Lors du labour, des canaux d’environ 10 cm de large sont créés, avec un espacement de 75 cm et sur une profondeur allant jusqu’à 55 cm. Ils se remplissent avec la terre arable du dessus, tandis que le sol profond est déplacé vers la couche supérieure. Le processus équivaut à un échange d’environ 20 % entre la couche arable et le sous-sol, tout en émiettant les zones tassées situées sous l’horizon normalement travaillé. Ce décompactage, associé à l’apport de terre végétale humifère, permet aux racines des plantes d’explorer des horizons plus profonds et d’y puiser les nutriments et l’eau disponibles.
Michael Sommer, scientifique spécialiste des sols au ZALF, est affecté au projet « Carbon Tillage » depuis 2022. « Nous avons pu prouver une augmentation stable du rendement de 3 à 5 q/ha en céréales, suite à un approfondissement partiel de la couche arable qui visait à favoriser la séquestration de carbone », indique–t-il. Déjà observé dans les années 1960 et 1980, cet effet sur la productivité, allant jusqu’à 5 % de gain de rendement la première année, a ainsi été confirmé par les essais actuels du ZALF.
Un labour vertueux
L’humus est composé d’environ 50 % de carbone, faisant des sols humifères un important puits de carbone naturel. Lors de la photosynthèse, le CO2 est capté dans l’atmosphère pour former la biomasse des plantes ; le carbone pénètre ensuite dans le sol via les racines, les résidus de récolte, les parties mortes des plantes, les exsudats et les produits de décomposition microbienne.
En s’appuyant sur ce mécanisme naturel, l’approfondissement partiel du sol serait à même d’accroître la quantité de carbone stockée dans la plupart des types de sol agricoles. En mélangeant le sous-sol, pauvre en carbone, et la couche supérieure, qui en est riche, se crée un déséquilibre dans le bilan carbone du sol : la terre arable n’est plus saturée.
Le sous-sol mélangé à la couche de surface se transforme en nouvelle terre arable dans les 10 ans suivant l’approfondissement partiel.
Marisa R. Gerriets, doctorante affectée au centre Leibniz de recherche sur les paysages agricoles (ZALF), travaille sur les projets de travail du sol partiel depuis 2019.
Dans les 10 annnés suivantes, les composés carbonés s’accumuleront ainsi jusqu’à atteindre l’équilibre. Cette accumulation se fera grâce aux oxydes de fer, aux minéraux argileux et aux ions calcium présents dans le sol. « Le sous-sol mélangé à la terre de surface se transforme en nouvelle terre arable dans les 10 ans après l’approfondissement partiel. Le carbone se retrouve ainsi séquestré : cette méthode crée un puits de CO2 », décrit Marisa Gerriets, qui travaille sur le sujet dans le cadre de sa thèse de doctorat.
Un projet du temps de l’Allemagne de l’Est
Appelée à l’époque « labour par segments », cette approche a vu le jour en RDA à la fin des années 1950. L’objectif était alors d’augmenter la stabilité et le niveau des rendements. Durant les décennies suivantes, des charrues spéciales et des outils de préparation du lit de semence ont été employés à cette fin en grandes cultures, principalement sur des sols de moraines, mais aussi dans des zones de lœss isolées. Leur usage s’intensifie à partir du milieu des années 1980 et jusqu’à la réunification allemande.
L’évolution des outils d’approfondissement partiel des années 1960 à aujourd’hui
Dans le cadre du projet « Krumensenke » (en allemand : „puits de terre arable“), les chercheurs du ZALF ont réouvert les canaux créés à l’époque pour les examiner. Même après 40 ans, ceux-ci sont toujours clairement identifiables. Sur la base d’échantillons de sols datant des années 1980, ils ont déterminé la teneur en carbone de la terre humifère de l’époque, et analysé la dégradation du carbone qui a eu lieu dans l’intervalle.
Les chiffres montrent, dans la couche arable, une teneur en carbone supérieure à celle des années 1980. Par ailleurs, plus de 50 % du niveau de carbone initial est toujours présent dans les canaux. L’augmentation du taux d’humus se maintient donc sur la durée, avec un bilan carbone positif. Les sols sablonneux peuvent stocker 10 tonnes de CO2éq/ha de façon permanente sur 10 ans après cette opération, et la séquestration peut aller jusqu’à 30 tonnes de CO2éq/ha en sols limoneux. Des bons résultats, qui laissent entrevoir une contribution significative à la protection du climat, même en tenant compte du fait que seuls 50 % environ de la sole allemande de grandes cultures est adaptée à ce type de pratiques.
De la charrue segmentée à la charrue « carbon farming »
La charrue développée par Lemken juxtapose deux types de corps de charrue : le corps carbon farming (« corps CF ») creuse le canal, profond de 55 cm et large de 25 cm. Un corps standard, affichant une profondeur de travail de 25 cm et une largeur de 50 cm, remplit ensuite le canal de terre humifère. Lors de la conception de l’outil, Lemken s’est basé sur les résultats des recherches du ZALF pour déterminer précisément les modalités de déplacement du sol.
Selon Andre Hahn, responsable produit spécialisé dans les charrues chez Lemken, « le défi principal lors du développement de la charrue était de développer un outil capable de mélanger la terre humifère et le sous-sol dans les bonnes proportions, sans épandre du sous-sol à la surface du champ, ce qui nuirait à l’implantation. La solution réside dans la géométrie des corps. Nous avons investi de nombreuses heures dans des essais de terrain et nous avons testé de plusieurs combinaisons d’outils pour que la charrue soit parfaite. » À titre d’exemple, la charrue utilise actuellement un versoir large pour remplir de terre humifère le canal créé par le corps CF.
Du côté de la traction nécessaire, elle varie selon les conditions mais peut doubler sur les sols qui n’ont par fait l’objet d’un sous-solage depuis longtemps. La charrue agricole à carbone de Lemken est actuellement en phase de pré-série ; le lancement en série est attendu pour 2026.
Le projet « Carbon Tillage »
Fondé par le Partenariat allemand d’innovation (DIP) de l’agence fédérale pour l’agriculture et l’alimentation (BLE) à l’aide de fonds apportés par le ministère fédéral de l’alimentation et de l’agriculture (BMEL).
Durée du projet
D’avril 2022 à juillet 2025
Partenaires
LEMKEN GmbH, Agrathaer GmbH
Centre Leibniz de recherche sur les paysages agricoles (ZALF)