En Espagne, l’ « or noir » séduit les agri­cul­teurs

La truffe noire (Tuber mela­no­sporum) est l’une des produc­tions agri­coles à plus forte valeur ajoutée. En Espagne, ce délice est produit à très petite échelle, avec un fort ancrage régional. Il peut se vendre à plus de 1 000 €/kg.

Situé dans l’est de l’Espagne, le village de Sarrión est l’un des plus impor­tants sites de produc­tion de truffe noire au monde. La majeure partie de la récolte est exportée en France, en Italie, aux États-Unis et au Japon. Grâce aux prix inté­res­sants (500 €/kg en moyenne en 2023), l’économie de la région a repris vie et la popu­la­tion a augmenté. « Sans la culture des truffes, presque personne ne vivrait ici. La zone serait dépeu­plée, comme d’autres dans cette province. Pour­tant, la popu­la­tion de Sarrión ne s’est pas seule­ment main­tenue, elle a augmenté au cours des dernières années », explique Rafael Doñate, truf­fi­cul­teur.

Fait bien connu, les truffes sont le fruit d’une symbiose avec les racines de certaines essences d’arbres, comme les chênes verts, les chênes communs, les noyers ou les châtai­gniers… Dans cet envi­ron­ne­ment agro­fo­res­tier, cham­pi­gnons et racines se déve­loppent ensemble en formant un myco­rhize : le mycé­lium des cham­pi­gnons capte des nutri­ments et de l’eau pour la plante et la protège de certaines mala­dies. En retour, l’arbre fournit des sucres, des acides aminés et d’autres substance dont la truffe a besoin.

RÉCOLTE

Un pic à truffes.

Elles sont bien sûr récol­tées à la main, de novembre à mars, et puisqu’elles ne sont pas visibles à la surface, les culti­va­teurs sont accom­pa­gnés des fameux chiens truf­fiers spéci­fi­que­ment dressés. L’animal signale l’emplacement d’un cham­pi­gnon et le produc­teur n’a plus qu’à creuser pour la récu­pérer à l’aide d’un outil dédié. Les cham­pi­gnons se trouvent géné­ra­le­ment à une profon­deur de 15 ou 20 cm.

En route avec Marius Vintila lors de la récolte de ce trésor enterré – en compa­gnie de son chien, Canoli, un pointer anglais doté d’un excellent odorat. Les chiens travaillent deux heures par jour. Lorsqu’un produc­teur récolte ses truffes, emmène donc habi­tuel­le­ment trois chiens avec lui, pour une journée de travail de six heures. « Toutes les races de chiens peuvent chasser la truffe », selon Marius, mais « certaines sont plus douées que d’autres, comme par exemple le pachon navarro. » Les produc­teurs dressent leurs chiens en les récom­pen­sant de petits morceaux de truffes à savourer. Dès que ce goût est acquis, ils les prennent avec eux sur le terrain avec d’autres bêtes plus expé­ri­men­tées qui leur apprennent à creuser.

La ferme de Marius Vintila est l’une des exploi­ta­tions fami­liales de la région. Son beau-père, Rafael Doñate, était l’un des pion­niers de la culture de truffes dans cette partie de la province de Teruel. Il a été l’un des premiers à être suffi­sam­ment coura­geux pour planter des chênes truf­fiers myco­rhizés. « Tout le monde nous trai­tait de fous, mais le temps nous a donné raison. » Des centaines de parcelles repré­sen­tant des milliers d’hectares sont désor­mais vouées à cette culture autour de Sarrión. « Les cultures du coin n’étaient pas très lucra­tives. Le sol de cette région est très rocailleux, mauvais pour la produc­tion céréa­lière, alors que c’est idéal pour les truffes », indique Rafael.

Le sol est travaillé très super­fi­ciel­le­ment pour ne pas endom­mager les racines.
Marius Vintila et son chien Canoli forment une équipe bien rôdée.

Les premières exploi­ta­tions truf­fières de la région ont démarré dans les années 1980. Aupa­ra­vant, les locaux récol­taient les truffes sauvages qui pous­saient dans les montagnes alen­tour.

Sur cette parcelle de 2 hectares, les chênes truf­fiers ont été implantés voilà 17 ans selon un schéma de 6 m x 6 m. D’autres agri­cul­teurs préfèrent espacer leurs arbres de 7 x 7 m, ou 4 x 5 m. La culture des truffes demande de la patience : les arbres myco­rhizés ne commencent à produire qu’au moins 10 ans après leur plan­ta­tion. Le pic de produc­tion se situe entre la 12e et 20e années. Elle décline ensuite jusqu’à la 30e année, et le cycle de la truf­fière est alors consi­déré comme touchant à sa fin.

ASPECTS CLÉ DE LA CULTURE

Qu’on ne s’y trompe pas : la culture de la truffe est exigeante. « Il ne s’agit pas seule­ment de planter des arbres et de récolter des truffes, nous y passons du temps tout au long de l’année », nous explique Marius. Après la plan­ta­tion, il faut sarcler autour des troncs pour empê­cher les mauvaises herbes d’y pousser pendant 5 ans. Un trac­teur équipé d’une herse travaille le sol entre les rangées d’arbres. « Nous travaillons de manière très super­fi­cielle afin de ne pas briser les racines. Nous avons besoin d’un trac­teur qui passe entre les rangées d’arbres », souligne Rafael. « Lorsque les arbres sont jeunes, ce n’est pas un problème. Puis ils gran­dissent, et nous ne voulons pas que le trac­teur frotte contre les branches, nous privi­lé­gions donc des machines compactes. »

Les chênes de la truf­fière sont plantés en carré, avec six mètres dans la ligne et six mètres en inter­ligne.

Comme l’explique Rafael, un bon élagage a aussi son impor­tance, mais celui-ci doit être « tout juste suffi­sant pour laisser de l’espace lors de la récolte, et pour que l’eau des micro-asper­seurs puisse atteindre les arbres. » Il s’agit du système d’irrigation le plus utilisé dans les exploi­ta­tions truf­fières de la région de Sarrión. Les déchets d’élagage ne pouvant être brûlés, ils sont broyés et le copeaux sont enfouis à proxi­mité de l’arbre pour aérer le sol et faci­liter la crois­sance des truffes.

Le plus gros problème est le manque d’eau. La neige offre les meilleures condi­tions pour les truffes noires, mais en raison du chan­ge­ment clima­tique, les épisodes neigeux sont de plus en plus rares, tout comme la pluie, et les arbres doivent par consé­quent être irri­gués tous les 14 à 20 jours, même en hiver. L’eau est puisée à plus de 250 mètres de profon­deur. « Nous consa­crons des inves­tis­se­ments consi­dé­rables à l’extraction de l’eau, mais nous les retrou­vons sur le chiffre d’affaires », indique Marius.

Toutes les cultures ont leurs nuisibles, et celle-ci ne fait pas excep­tion. Face aux sangliers, très friands de truffes, et aux lapins qui raffolent des pousses des jeunes arbres, tous les vergers sont clôturés. Le rava­geur le plus dange­reux reste néan­moins le coléo­ptère de la truffe (Leiodes cinna­momea). Ses larves se nour­rissent des jeunes cham­pi­gnons en y creu­sant des gale­ries, ce qui entrave leur crois­sance. La perte de récolte peut parfois dépasser les 50 %. Le meilleur moyen de lutte contre ce coléo­ptère est l’utilisation de pièges à appâts.

Une truf­fière dans la région de Sarrión.

Rafael Doñate (à gauche) et Marius Vintila (à droite) sur l’une des parcelles qu’ils cultivent.

L’idéal est d’utiliser un trac­teur compact, afin que la cabine ne racle pas contre les branches.

Une récolte chro­no­phage

La récolte (le cavage) est la tâche la plus gour­mande en temps de travail. « C’est la partie la plus dure et la plus complexe. Cet hiver, nous avons travaillé certains jours par -7 °C ». Les truffes sont récol­tées à la main, une par une. Il faut sortir à de nombreuses reprises et avec plusieurs chiens. « Un seul chien ne peut pas détecter toutes les truffes. Nous passons sur chaque parcelle plusieurs fois avec diffé­rents chiens », explique Marius.

La forme, la taille et le poids des cham­pi­gnons est variable. D’une manière géné­rale, plus le poids est impor­tant, plus le prix est élevé. Cepen­dant, la forme est égale­ment un critère de qualité. Les pièces les plus prisées sont de gros volume et de forme plus sphé­rique. Pour favo­riser ce type de silhouette arrondie, on amende le sol avec de la tourbe. Comme la sciure de bois, cette dernière contribue à aérer le sol et à donner aux truffes plus d’espace pour se déve­lopper.

Toutes les races de chiens peuvent chasser la truffe.

 Marius Vintila

Il est aisé de recon­naître un arbre truf­fier au premier coup d’œil : il présente à son pied un cercle où aucune plante ne pousse, le « brûlé ». Si des adven­tices appa­raissent, c’est l’indice que l’arbre ne donnera aucune récolte.

« Dans le domaine de la truffe, deux plus deux ne font pas forcé­ment quatre », explique Marius. « Nous ache­tons toutes les plantes myco­rhi­zées à la pépi­nière et nous appli­quons les mêmes tech­niques de culture à toutes nos parcelles. Cepen­dant, certains arbres produisent des truffes tous les ans, d’autres en donnent seule­ment certaines années, et enfin quelques-uns ne produisent jamais de truffes. En outre, le plus grand arbre ne donne pas néces­sai­re­ment plus de truffes. » Car un petit arbre peut produire plus de truffes qu’un grand. « La nature ne cessera jamais de nous surprendre », conclut Rafael.