Le Sillon : En quoi consistait le projet AgriAdapt ?
Patrick Trötschler : Le fait est que les exploitations devront s’adapter au réchauffement. Mais lorsque l’on parle de 2°, 3° de plus, cela reste abstrait du point de vue pratique. Nous avons développé un outil d’aide à la décision pour que les exploitations puissent faire des choix d’adaptation raisonnés. À cette fin, nous avons simulé sur 120 fermes-pilotes en Europe l’évolution possible de plusieurs indicateurs agroclimatiques jusqu’en 2046, et nous avons analysé risques et opportunités. Nous avons également élaboré et diffusé des supports de formation agricole initiale et continue.
Le réchauffement est là. Est-il urgent de faire évoluer les systèmes ?
La question nous a souvent été posée : que fait-on maintenant, doit-on repenser tout le système ? Il faut bien souligner que l’adaptation climatique sera un processus continu sur les prochaines années et même décennies. Il s’agit de développer une stratégie pour chaque exploitation. Ensuite, il faut distinguer météo et climat. Malgré les extrêmes des dernières campagnes, je ne partirais pas forcément du principe qu’un tel scénario se reproduira chaque année à l’avenir. Ce qu’on peut dire en tout cas, c’est que la météo sera de plus en plus imprévisible.
Vous avez conçu des stratégies d’adaptation dans les fermes-pilotes. Quels étaient les dénominateurs communs, au chapitre de la prévention de la sécheresse ?
La notion la plus importante est la répartition des risques. Avec des étés de plus en plus chauds et secs, les cultures doivent se diversifier. Ensuite, le sol doit pouvoir jouer son rôle « d’éponge », faire des réserves lors des phases de pluies et pouvoir les maintenir jusqu’aux périodes sèches.
Avec des étés de plus en plus chauds et plus secs, les cultures doivent se diversifier.
Jouer sur le taux de matière organique et d’humus est un levier, de même que la couverture permanente du sol et le semis direct. Néanmoins il est impossible de généraliser des mesures permettant d’atteindre cet objectif, cela relève de la stratégie individuelle des exploitants.
Qu’en est-il de l’adaptation climatique en cultures irriguées ?
La pression liée au partage de l’eau – entre usage agricole et autres -, sur fond de thématique écologique, est de plus en plus forte. Concernant le prélèvement sur les nappes, il reste à trouver un consensus à l’échelle de la société, ce qui n’est pas du seul ressort des producteurs. Au-delà, le captage de l’eau de pluie dans des bassins partagés sera assurément un thème stratégique dans les prochaines années. Reste que les exploitations doivent développer leur efficacité hydrique, par exemple en semant davantage de variétés et de cultures tolérantes à la sécheresse, même si celles-ci ne génèrent pas un rendement maximal.
Cela signifie accepter une baisse des rendements au profit de la résilience climatique ?
On parle souvent de rendement maximal annuel mais celui-ci est toujours associé à un risque élevé. Pour nous, ne pas cultiver forcément la variété à rendement maximal sur l’ensemble de la surface de cette culture, mais semer, par exemple, une variété tolérante à la chaleur sur un tiers ou un quart des terres est une bonne stratégie d’adaptation.
On parle souvent de rendement maximal annuel, mais celui-ci est toujours associé à un risque élevé.
On en revient à la répartition des risques. Plutôt que de comparer les rendements annuels entre collègues, il serait plus viable de se demander : qui, sur une période de dix ans, a tiré le meilleur rendement moyen de son champ ?
Comment les agriculteurs peuvent-ils utiliser les instruments développés dans le cadre d’AgriAdapt ?
Un outil Web en plusieurs langues a été publié en février sur le site Internet du projet. On y trouve différents modules parmi lesquels des éléments d’aide à la décision. Ils permettent aux agriculteurs d’anticiper, notamment, l’évolution de la disponibilité de l’eau dans leur secteur au cours des 30 prochaines années. Enfin, un grand nombre de mesures d’adaptation durables y sont aussi documentées.