Halte au tasse­ment des sols

Le profes­seur Rainer Horn était titu­laire de la chaire de pédo­logie à l’université de Kiel, en Alle­magne, de 1998 à 2017. Son travail porte sur l’ensemble des domaines de la physique de l’écologie des sols, parti­cu­liè­re­ment leur dégra­da­tion physique, dans le but notam­ment de déve­lopper des procédés de restau­ra­tion.

Quelles sont les carac­té­ris­tiques d’un sol tassé ? Existe-t-il une défi­ni­tion géné­rale ?

Les sols sont consi­dérés comme tassés lorsqu’ils ne peuvent plus assurer les échanges d’eau et d’air, l’enracinement des plantes ainsi que le renou­vel­le­ment des nappes phréa­tiques. En bref : lorsque leurs cavités ne suffisent plus pour garantir toutes les fonc­tions du sol en tant que réser­voir de nutri­ments et d’eau, et comme milieu de produc­tion végé­tale. Il n’existe cepen­dant aucune carac­té­ri­sa­tion du sol pouvant s’appliquer de façon géné­rale. Certains sont beau­coup plus sensibles au tasse­ment que d’autres, par exemple les sols argi­leux, par rapport aux sols sablon­neux. En outre, un type de sol comporte plusieurs hori­zons avec diffé­rentes sensi­bi­lités au tasse­ment.

Quels sont les effets du tasse­ment sur les produc­tions végé­tales ?

Les sols consti­tuent toujours un système tripha­sique : la phase gazeuse, la phase liquide et la phase solide. Il s’agit, plus exac­te­ment, d’un ensemble compre­nant des pores remplis d’air, des pores remplis d’eau et des consti­tuants solides. Lors de la compac­tion, le système poreux est toujours le premier à subir des modi­fi­ca­tions. Ainsi, dans la mesure où les pores sont compressés, la perméa­bi­lité aux gaz diminue, de même que la conduc­ti­vité hydrau­lique. Par ailleurs, on observe une chute de la capa­cité d’emmagasinement de l’eau dispo­nible pour les plantes.

Si la conduc­ti­vité hydrau­lique tombe en dessous d’une certaine valeur, l’aération diminue égale­ment car les pores, plus fins, emma­ga­sinent une plus grande quan­tité d’eau pour une durée plus longue. Quand la capa­cité d’air est infé­rieure à 8-10 %, on peut parler d’un tasse­ment impor­tant du sol. Si la capa­cité d’infiltration tombe sous 10 cm par jour, le sol ne peut plus remplir sa fonc­tion de nutri­tion des plantes.

Si le sol subit un tasse­ment trop fort, les racines peuvent seule­ment se déve­lopper en surface, et il devient diffi­cile pour les plantes d’atteindre l’eau située dans les couches plus profondes.

Pour résumer d’un point de vue physique : si le sol subit un tasse­ment trop fort, les racines peuvent seule­ment se déve­lopper en surface, et il devient diffi­cile pour les plantes d’atteindre l’eau située dans les couches plus profondes.

Pour résumer d’un point de vue chimique : plus le sol est compact, plus il est diffi­cile pour les éléments nutri­tifs apportés par l’agriculteur de s’y infil­trer, pour pouvoir y être fixés puis absorbés par les racines. Par ailleurs, le risque augmente de voir les nutri­ments lessivés plus rapi­de­ment par l’eau s’écoulant laté­ra­le­ment dans le sol tassé, même sur un terrain à très faible incli­naison, pour fina­le­ment aller « ferti­liser » les rivières.

Comment l’agriculteur recon­naît-il que son sol est tassé ?

Il existe plusieurs méthodes. Dans un premier temps, il faut observer la surface. Dans le cas d’un sol tassé, celle-ci est souvent boueuse et compacte, carac­té­risée par une absence de fissures ou par des fissures éloi­gnées les unes des autres et perpen­di­cu­laires entre elles. Ensuite, il faut se pencher sur la fissu­ra­tion de la surface : si celle-ci affiche une struc­ture en nid d’abeilles, c’est un signe de tasse­ment. Les sols tassés présentent souvent des plaques hori­zon­tales situées à la profon­deur de labour, environ 30 cm. L’effet de cette semelle de labour se fait sentir jusqu’à une profon­deur de plusieurs déci­mètres dans le sol profond.

Par ailleurs, l’agriculteur doit observer la colo­ra­tion du sol dans les hori­zons supé­rieurs : quand la teneur en oxygène du sol est insuf­fi­sante, le fer présent subit une réac­tion de réduc­tion et est mobi­lisé, ce qui se traduit par une colo­ra­tion bleuâtre ou noirâtre. Enfin, la forme des racines fournit des indi­ca­tions : dans les sols tassés, les racines plus profondes et uniformes sont absentes ou forte­ment limi­tées.

Que doit faire l’agriculteur afin de mini­miser la solli­ci­ta­tion et le tasse­ment de son sol ?

En règle géné­rale, les sols secs peuvent être solli­cités plus forte­ment que les sols humides. Il faut donc prendre en compte des diffé­rences de pratiques cultu­rales qui s’imposent en fonc­tion de la pluvio­sité. Plus le sol est humide, plus il est sensible. Plus il est sec, plus il est stable.

En ce qui concerne la solli­ci­ta­tion que repré­sente la pres­sion exercée par les machines agri­coles en dépla­ce­ment, il faut veiller à ce que le poids de la machine et la pres­sion trans­mise via la surface de contact des pneus restent infé­rieurs à la résis­tance intrin­sèque du sol. À l’inverse, si la solli­ci­ta­tion exercée sur le sol est trop élevée et si elle agit de façon répétée ou durable, il se produit une compres­sion plus ou moins forte selon la résis­tance intrin­sèque des diffé­rents hori­zons du sol. Ce tasse­ment est, par ailleurs, accentué par la défor­ma­tion de cisaille­ment. En règle géné­rale, à pres­sion iden­tique mais avec une surface de contact plus élevée, le sol est tassé plus profon­dé­ment que dans le cas de machines plus légères, mais avec une pres­sion iden­tique en zone de contact.

Ces effets sont parti­cu­liè­re­ment marqués lors d’un labour annuel à 30 cm de profon­deur.

Tandis que l’ensemble de la struc­ture du sol est ameu­blie dans les 30 premiers centi­mètres, il se produit une compres­sion de l’horizon situé sous la semelle de labour. Par ailleurs, le pati­nage a un effet de cisaille­ment qui se traduit par une compres­sion, entraî­nant la destruc­tion des pores conduc­teurs. Ainsi, l’agriculture conven­tion­nelle tend à générer un sol plus en plus super­fi­ciel avec le temps. Les hori­zons supé­rieurs présentent certes un bon enra­ci­ne­ment mais les plantes disposent seule­ment de cette zone pour leur nutri­tion.

L’agriculture conven­tion­nelle tend à générer un sol plus en plus super­fi­ciel avec le temps. Les hori­zons supé­rieurs présentent certes un bon enra­ci­ne­ment mais les plantes disposent seule­ment de cette zone pour leur nutri­tion.

Cet effet et les consé­quences qui en résultent pour l’enracinement et le trans­port de l’eau, de l’air et de la chaleur peuvent ainsi être consi­dérés comme un indi­ca­teur des fonc­tions du sol sur les terres arables. Il faut prévoir une période d’au moins 5 à 7 ans jusqu’à ce qu’un nouveau système poreux appa­raisse, après plusieurs phases de dessè­che­ment et de gonfle­ment dû aux eaux pluviales. Les plantes ont alors la possi­bi­lité de s’enraciner plus faci­le­ment et profon­dé­ment.

Cepen­dant, cela néces­site égale­ment de mettre un terme à la solli­ci­ta­tion méca­nique crois­sante due à l’utilisation de machines agri­coles avec un poids et une pres­sion de surface de contact plus élevés. À long terme, il en résulte un sol présen­tant à la fois une meilleure apti­tude à l’enracinement, une plus grande stabi­lité et une plus faible compac­tion. Ces ajus­te­ments permettent à l’agriculteur de gagner du temps et de faire des écono­mies d’énergie (carbu­rant, etc.) à long terme, tout en rédui­sant la charge de travail. La biologie est notre meilleure alliée.

Que peut-on faire pour rattraper un sol tassé ?

Dans un premier temps, il convient de garder en tête la règle géné­rale selon laquelle une réserve adéquate de nutri­ments assure un meilleur enra­ci­ne­ment, favo­ri­sant le dessè­che­ment, syno­nyme de fissu­ra­tion. Le chau­lage permet égale­ment de renforcer la fissu­ra­tion dans les zones tassées ou de stabi­liser les couches de sol déjà ameu­blies. De cette manière, le stockage des éléments nutri­tifs et de l’eau, l’infiltration hydrique et les échanges de gaz avec l’atmosphère reprennent, et se font plus stables à long terme.

Au-delà, l’agriculteur gagne à allonger ses rota­tions, avec des cultures déro­bées à enra­ci­ne­ment profond telles que la luzerne. Cette mesure déssèche forte­ment le sol et la fissu­ra­tion plus impor­tante (à une profon­deur de plus d’un mètre) entraîne un accrois­se­ment de la stabi­lité et de l’accessibilité des réserves nutri­tives et hydriques, tout en augmen­tant la résis­tance du sol. Il convient de choisir les actions les plus effi­caces en fonc­tion du type de sol, de l’espace naturel et du degré de tasse­ment.

Combien de temps jusqu’à ce que ces actions portent leurs fruits ?

Lorsqu’un sol est tassé, les processus en jeu ont hélas des effets néga­tifs à long terme. Certaines données prouvent clai­re­ment qu’aucune amélio­ra­tion n’est sensible durant les 10-15 premières années. Il faut une très longue période pour retrouver la struc­ture d’un sol. Les vers de terre peuvent aider, mais à raison d’environ 200 à 300 par mètre carré.

Quelles sont les possi­bi­lités tech­niques dont dispose l’industrie du machi­nisme agri­cole afin de lutter contre le tasse­ment des sols ?

Dans un premier temps, il existe la possi­bi­lité de réduire la pres­sion de gonflage des pneu­ma­tiques, dont il est ques­tion depuis des années. Cepen­dant, selon moi, cela ne nous aide que de façon margi­nale. En effet, les pneus à pres­sion de gonflage réduite ne deviennent pas plus plats et plus larges de façon uniforme mais répar­tissent la masse de la machine, et donc la pres­sion, de façon inégale sur le sol. Cela signifie que la surface de contact n’est pas constante. Au lieu de cela, des valeurs maxi­males appa­raissent lorsque le pneu se dilate laté­ra­le­ment. Des diffé­rences de pres­sion pouvant aller jusqu’à 300 % peuvent être obser­vées.

Rainer Horn (à g.) au labo­ra­toire de l’université Chris­tian-Albrecht de Kiel.

Deuxième possi­bi­lité : utiliser des pneus de plus grande taille. Mais il faut tenir compte du fait que, avec une masse de machine plus impor­tante, plus le pneu est large, plus la profon­deur à laquelle la pres­sion se propage est élevée. Si l’on souhaite mieux préserver le sous-sol, il faudra utiliser des machines plus petites et auto­mo­trices, éven­tuel­le­ment des robots.

Troi­sième possi­bi­lité : utiliser des trains de roule­ment à chenilles. Si nous obser­vons la propa­ga­tion de la pres­sion sous une chenille, nous consta­tons que la pres­sion maxi­male est toujours située à l’avant et à l’arrière au niveau de la roue de renvoi. La pres­sion est nette­ment plus faible dans la partie centrale. Il existe ainsi deux valeurs maxi­males à l’avant et à l’arrière, dont l’effet sur le sol n’est pas uniforme sur toute la surface de roule­ment. Et il y a égale­ment le pati­nage, dont l’effet sur la struc­ture est souvent négligé, mais qui joue un rôle négatif impor­tant par son effet destruc­teur sur les fonc­tions pédo­lo­giques. Le pati­nage entraîne des forces de cisaille­ment qui s’exercent en diago­nale dans les couches du sol. Cette défor­ma­tion de cisaille­ment se produit en partie jusque sous la semelle de labour et entraîne la destruc­tion de la struc­ture poreuse natu­relle du sol.

À mon sens, l’industrie doit prendre ses distances avec les machines de grande taille, qui sont égale­ment coûteuses, et privi­lé­gier les équi­pe­ments plus petits et plus effi­caces, adaptés aux carac­té­ris­tiques des sols. Compte tenu des défor­ma­tions irré­ver­sibles qui touchent déjà ces derniers, il est devenu beau­coup plus diffi­cile de leur rendre leur produc­ti­vité, et de faire en sorte qu’ils assurent leur rôle de zone tampon pour la propreté des nappes phréa­tiques et de l’eau potable. Mais nous pouvons au moins éviter que la situa­tion ne se dété­riore davan­tage.

Comment jugez-vous la réac­tion des respon­sables poli­tiques, mais aussi des exploi­tants agri­coles, à la problé­ma­tique du tasse­ment des sols ?

Aucun agri­cul­teur ne détruit déli­bé­ré­ment son sol car ce dernier constitue la base indis­pen­sable pour la produc­tion alimen­taire des géné­ra­tions futures. Et nous pouvons actuel­le­ment observer au moins un accrois­se­ment de la sensi­bi­li­sa­tion des diffé­rents acteurs. C’est un point positif !

Aucun agri­cul­teur ne détruit déli­bé­ré­ment son sol car ce dernier constitue la base indis­pen­sable pour la produc­tion alimen­taire des géné­ra­tions futures.

Il s’agit désor­mais d’aider les personnes concer­nées à penser autre­ment. Au lieu de se dire simple­ment : je suis conscient du problème, il faut amener les gens à se demander : que puis-je faire, et que dois-je changer ? En Alle­magne, des discus­sions sont en cours avec l’Office fédéral de l’environnement (Umwelt­bun­de­samt) en vue d’introduire un système de clas­se­ment des sols, notam­ment selon leurs propriétés physiques telles que la conduc­ti­vité hydrau­lique, le régime aérien, la dispo­ni­bi­lité de l’oxygène, etc. La clas­si­fi­ca­tion des sols selon le niveau de risque peut rendre le problème plus tangible pour les agri­cul­teurs. Enfin, les construc­teurs doivent leur donner la possi­bi­lité d’acheter des maté­riels adaptés à leur sol.

Pour finir, que pensez-vous du « Controlled Traffic Farming » ?

Ce système fonc­tionne s’il est utilisé chaque année du 1er janvier au 31 décembre, avec une circu­la­tion inchangée, par toutes les machines et tous les équi­pe­ments. Je sacrifie une surface portante sur laquelle rien ne va pousser, mais le reste du sol est suffi­sam­ment meuble pour que les cultures se déve­loppent correc­te­ment. Cela fonc­tionne sans aucun doute unique­ment si les largeurs du parc de machines sont unifor­mi­sées, ce qui n’est pas encore possible aujourd’hui pour une campagne entière. Voilà donc un défi pour l’industrie du machi­nisme agri­cole : construisez des machines qui soient adap­tées les unes aux autres du point de vue de la largeur de travail !